La diffusion des technologies numériques dans les pratiques de recherche, ainsi que les mutations socio-professionnelles des mondes universitaires et éditoriaux du début du vingt-et-unième siècle, ont donné lieu à de multiples déstabilisations dans les modalités d’enquête, d’écriture et d’édition impliquées par les activités de publication des chercheurs en Sciences Humaines et Sociales. En écho à ces transformations, des démarches expérimentales diverses impliquant des collectifs interdisciplinaires dans l’élaboration de formats de publication inédits se sont développées. Ces démarches ont été en dialogue et parfois en friction avec les normes, les codes et les habitudes partagées constitutives de leurs horizons de pratique. Dans ce contexte, cette recherche porte sur les effets esthétiques, socio-techniques, méthodologiques et épistémologiques du dialogue entre pratiques conventionnelles et pratiques expérimentales de la publication en Sciences Humaines et Sociales. À travers une démarche d’enquête en design articulant observation, écriture et fabrication via une série de dérivations, cette recherche vise ainsi à reconstituer le rôle de la matérialité dans la formation des collectifs de recherche contemporains.
Mots-clés : design, Sciences Humaines et Sociales, édition, écriture, multimodalité.
The diffusion of digital technologies in research practices, as well as the socio-professional changes in the academic and editorial worlds at the beginning of the twenty-first century, have led to multiple destabilizations in the modes of investigation, writing and publishing involved in the publication activities of Humanities and Social Sciences researchers. Echoing these transformations, various experimental endeavours involving interdisciplinary collectives in the elaboration of novel publication formats have developed. These endeavours have been in dialogue and sometimes in friction with the norms, codes and shared habits that constituted their horizons of practice. In this context, this research focuses on the aesthetic, socio-technical, methodological and epistemological effects of the dialogue between conventional and experimental practices of publishing in the Human and Social Sciences. Through a design inquiry process articulating observation, writing and making through a series of derivations, this research aims at reconstituting the role of materiality in contemporary research collective formation.
Keywords: design, Humanities and Social Sciences, publishing, writing, multimodality.
Les pratiques relatives à la publication universitaire n’ont jamais été, hier comme aujourd’hui, un travail solitaire : cette thèse en est une nouvelle démonstration.
Je remercie tout d’abord chaleureusement les deux encadrants de cette recherche, Nicolas Thély et Donato Ricci, qui m’ont ouvert des horizons intellectuels insoupçonnés autant qu’ils m’ont guidé dans la découverte du monde de la recherche, avec générosité, confiance et bienveillance.
Je remercie Clarisse Bardiot, Jean-François Bert, Leszek Brogowski, Annie Gentès, et Marcello Vitali-Rosati pour avoir accepté d’examiner ce travail.
L’équipe du projet Enquête sur les Modes d’Existence m’a accueilli et permis de plonger dans une aventure riche et unique qui a occupé un rôle pivot et fertile pour l’ensemble de ce travail : Bruno Latour, Christophe Leclercq, Paul Girard, Pierre-Laurent Boulanger, Pierre Jullian de la Fuente, Daniele Guido, et l’ensemble des participant.e.s et des étudiant.e.s croisés dans le cadre de ce terrain.
Les membres passés et présents du laboratoire médialab, rencontrés au début de cette thèse puis maintes fois retrouvés, m’ont soutenu et permis de finaliser ce travail tout en lui donnant beaucoup de sens, grâce à un environnement intellectuel mais aussi humain de grande valeur : Paul Girard, Nicolas Benvegnu, Barbara Bender, Guillaume Plique, Benjamin Ooghe-Tabanou, Axel Meunier, Thomas Tari, Audrey Baneyx, Vincent Lepinay, Mengying Du, Diégo Antolinos-Basso, Pierre-Laurent Boulanger, Agata Brilli, Dominique Cardon, Vincent Casanova, Jean-Philippe Cointet, Gabriele Colombo, Maxime Crépel, Martin Delabre, Marine Denis, William Diakité, Jules Farjas, Justine Gaucherand, Daniele Guido, Reiko Hasegawa, Mathieu Jacomy, Alexis Jacomy, Biljana Jankovic, Pierre Jullian de la Fuente, Anne L'Hôte, Christophe Leclercq, Audrey Lohard, Damien Marié, Sylvain Parasie, Julia Perczel, Oubine Perrin, Davy Peter Braun, Arnaud Pichon, Isabel Ruck, Antoine Trouche, Amélie Vairelles, Tommaso Venturini, Benoît Verjat, et toutes les autres personnes avec qui j’ai échangé dans ce cadre.
Amandine Langlois, co-équipière de retraites studieuses et de discussions passionnantes, m’a inspiré par son indéfectible optimisme et son sens des choses faites.
Julie Blanc, Émeline Brulé, Loup Cellard, Christophe Leclercq, ont été des relecteurs perspicaces et précis, et des discutants de haute volée.
Le groupe de recherche MONADE a été l’occasion de discussions et d’expérimentations riches qui m’ont permis d’ouvrir des perspectives nouvelles à la croisée entre arts et design : notamment Alexandre Dupont, Camille Bosqué, Virginie Pringuet.
Les membres de l’association de jeunes chercheurs Design en Recherche m’ont permis de partager des moments intellectuels et personnels très importants pour moi, formateurs de mon approche de la recherche en design : Caroline Bougourd, Pauline Gourlet, Anthony Masure, Marine Royer, Anne-Lyse Renon, et beaucoup d’autres personnes rencontrées dans ce contexte, à la croisée entre plusieurs disciplines et environnements de recherche.
L’équipe du groupe Hybrid Publishing de l’EnsadLab m’a donné l’occasion de faire progresser mes recherches de manière conviviale grâce à une collaboration autour des enjeux éditoriaux propres aux mondes de l’art et du design : notamment Dominique Cunin, Julie Blanc, Lucile Haute, Samuel Bianchini.
De multiples personnes rencontrées à l’occasion de la présentation de ce travail, d’une conversation ou d’une collaboration dérivative, l’ont fait progresser significativement d’une manière ou d’une autre : Sabine Chalvon-Demersay, Johanna Drucker, Pierre Mounier, Aurélien Berra, Gilles Rouffineau, Annick Lantenois, Alexis Chazard, Antoine Delinotte, Laetitia Giorgino, Giorgio Uboldi, Matteo Azzi, Pierre-Damien Huyghe, et tant d’autres.
Tous mes autres chers amis hors du monde professionnel, avec qui j’ai eu la chance de cheminer durant ces années, dans le désordre et de manière non-exhaustive, ont réussi l’exploit de supporter cet étrange parasite qui s’était greffé sur ma vie durant tout ce temps : Thomas, Daphné, Olivier, Pierre, Samuel, Antoine, Alex, Blandine, Germain, Pauline.
Enfin et surtout, Jean-Marc et Nicole de Mourat, parents-thèses chaleureuses et oreilles inlassables, m’ont encouragé et soutenu jusqu’à ce que cette thèse arrive à son terme.
Qu’ils soient toutes et tous sincèrement remerciés, car l’accomplissement de ce travail est aussi le leur.
L’imprimerie impose comme un pli à l’écriture et à travers elle à l’étendue et la forme d’une « matière subjective ». Mais l’ordre de ce format n’en ouvre pas moins d’immenses possibilités formelles au cœur de la contrainte mécanique. […] Ainsi, le pliage qu’il impose ne réduit aucun pli subjectif à n’être que soumission à la technique. (Zerbib, 2015c, p. 341)
Il a fallu des décennies pour construire les dépôts numériques de stockage et établir les conventions dʼaccès et dʼutilisation, sans parler de lʼélaboration des outils de communication, de présentation et de publication utilisés par les chercheurs en sciences humaines pour partager et diffuser lʼinformation. Chacun de ces efforts constitue un acte dʼinterprétation. Chaque passage de lʼanalogique au numérique est une traduction qui met en scène une certaine expérience des artefacts rencontrés en ligne […] Lorsque de nouvelles normes sʼétablissent, lorsque de nouvelles procédures et techniques sont naturalisées, les hypothèses peuvent devenir invisibles. [...] les nouvelles routines qui structurent ce monde de pratique ont le potentiel de devenir aussi sédimentées et automatiques que celles de lʼère de lʼimprimerie, et quand elles le font, elles sonnent le glas des humanités numériques comme une pratique à la fois critique et expérimentale.15Sauf mention contraire, toutes les traductions de ce texte sont des traductions personnelles. Citation originale : « Decades of work were involved in building digital repositories and establishing conventions for access and use, not to mention in developing the communication, presentation, and publication tools upon which humanists relly for information-sharing and dissemination. Each of these undertakings represents an act of interpretation. Every migration from analog to digital is a translation that stages a certain experience of artifacts encountered online […] When new norms establish themselves, when new procedures and techniques become naturalized, assumptions can become invisible. [...] the new routines that structure this world of practice have the potential to become just as sedimented and automatic as those of the print era, and when they do, they sound the death knell for Digital Humanities as a practice that is both critical and experimental. ».(Anne Burdick;Johanna Drucker;Peter Lunenfeld;Todd Presner;Jeffrey Schnapp, 2012, p. 122)
Pour résumer : une méthode inventive traite d’un problème spécifique, et est adaptée dans son utilisation en fonction de cette spécificité ; son usage peut éventuellement être répété, mais la méthode est toujours orientée pour faire une différence. Cette orientation est liée, nous le suggérons, à sa double force […] : c’est-à-dire à la fois à ses ‹ effets constitutifs › et à sa capacité à contribuer à sa propre ‹ circulation générative ›.17Citation originale : « To summarize: an inventive method addresses a specific problem, and is adapted in use in relation to that specificity; its use may be repeated, but the method is always oriented to making a difference. This orientation is linked, we suggest, to its double force […]: that is, to both its ‘constitutive effects’ and its capacity to contribute to its own ‘generative circulation’. »(Lury & Wakeford, 2012/2013, p. 11)
Dans la mesure où la forme permet au sens dʼapparaître à la sensibilité, pour paraphraser Aristote, le rôle de lʼesthétique est dʼéclairer les manières dont les formes de connaissance provoquent lʼinterprétation. Dans la mesure où la logique formelle des environnements informatiques valide les applications instrumentales de gestion et de création dʼartefacts numériques, le jeu imaginatif est crucial pour que cette logique nʼaffirme pas une autorité totalisatrice sur le savoir et ses formes. L’Aesthesis, à mon avis, nous permet dʼinsister sur la valeur de la subjectivité qui est au cœur des artefacts esthétiques – des œuvres dʼart au sens traditionnel du terme – et de placer cette subjectivité au cœur de la production du savoir.18Citation originale : « Insofar as form allows sense to appear to sentience, to paraphrase Aristotle, the role of aesthetics is to illuminate the ways in which the forms of knowledge provoke interpretation. Insofar as the formal logic of computational environments validates instrumental applications regarding the management and creation of digital artifacts, imaginative play is crucial to keeping that logic rom asserting a totalizing authority on knowledge and its forms. Aesthesis, I suggest, allows us to insist on the value of subjectivity that is central to aesthetic artifacts – works of art in the traditional sense – and to place that subjectivity at the core of knowledge production. »(Johanna Drucker, 2009, p. xiii)
Peut-être qu’une des valeurs des méthodes de design dans les sciences humaines et sociales relève de la manière dont le design nous permet de dériver des problèmes. Les interprétations, les significations produites par le design ne sont pas le moyen de régler des problèmes, mais plutôt de les matérialiser eux et leurs facteurs signifiants. De cette manière, dériver relève d’un double sens qui désigne à la fois le processus de dérivation et la source depuis laquelle quelque chose est dérivée, son origine. Plutôt que de produire les fins de l’enquête, les méthodes de design en produisent le point de départ. Dériver n’est pas qu’un processus, mais un effort expérientiel, un évènement qui permet la fabrication de problèmes productifs […]. Il y a un aspect narquois dans ceci. Le design, dans ce contexte, ne relève pas de l’utilisabilité, de l’utilité ou ou même de la désirabilité. Ce que nous dérivons du design, comme un mode de fabrication-comme-enquête, ne sont pas des solutions, mais plutôt des glitches productifs, des difficultés et des complications.25Citation originale : « Perhaps one value of designerly methods in the humanities and social sciences is the extent to which the endeavour of designing enables us to derive problems. The interpretations, the meanings produced through design are not means of settling concerns, but rather of materializing them and their significant factors. In this way, the derivation takes on its double meaning of both the process of deriving and the source from which something is derived, its origin. Rather than designerly methods producing the ends of inquiry, maybe they produce its starting point. Deriving is not merely a process, but an experiential endeavour, an event that enables productive problem-making (Wilkie 2014). There is a quizzical aspect of this. Design, in this context is not about usability, usefulness or even desirability. What we derive from design, as mode of making as-inquiry, are not solutions, but rather productive glitches, difficulties and complications. »(DiSalvo, 2018)
La partie la plus visible de la discussion sur ce qui constitue la publication a porté sur les articles de revues. Pourtant, un ensemble beaucoup plus vaste de questions surgit à mesure que de nouveaux genres qui ne sont pas faciles à catégoriser. Les riches sites web savants en sciences humaines, par exemple, contiennent des données dans de nombreux médias, consolidant ainsi les résultats dʼannées de recherche. Ils ont peu dʼanalogues dans les publications imprimées. Les livres et thèses électroniques ont également des caractéristiques qui ne peuvent être reproduites sous forme imprimée (p. ex. images animées ou liens vers des sources externes), mais sont par ailleurs analogues aux livres et thèses traditionnels. Les simulations, les dépôts de données et dʼautres contenus complexes comportant des liens interactifs peuvent être considérés comme des publications, en particulier dans les domaines à forte intensité de données, en dépit de peu dʼanalogues imprimés.4Citation originale : « The most visible part of the discussion of what constitutes publication has focused on journal articles. Yet a much broader set of issues is bubbling upward as new genres emerge that are not easily categorized. Rich scholarly Web sites in the humanities, for instance, contain data in many media, consolidating the results of years of research. They have few analogs in print publication. Electronic books and theses also have features not replicable in print form (e.g., moving images or links to external sources), but are otherwise analogous to traditional books and theses. Simulations, data repositories, and other complex content with interactive links may be considered publications, especially in data-intensive fields, despite few print analogs.»(Borgman, 2010, p. 98)
Lʼéventail des genres de communication savante informelle est encore plus complexe. […] Bien que la plupart de ces nouveaux genres soient trop informels pour avoir été considérés comme des publications imprimées, ils contiennent des discussions, des faits et des compte-rendus importants qui font partie du discours scientifique dʼun domaine. De plus, ils peuvent être capturés parce que les communications numériques laissent une trace.5Citation originale : « Even more complex is the array of informal scholarly communication genres. […] While most of these new genres are too informal to have been considered publications in a print realm, they do contain important discussions, facts, and reports that are part of the scholarly discourse of a field. Furthermore, they can be captured because digital communications leave a trace. »(Borgman, 2010, p. 99)
Les cadres servent autant à présenter le contenu quʼà le contenir. Les cadres, dans mon langage, sont les mécanismes de distribution, les canaux et les médias. Ce sont des contextes, des modes de compréhension autant que des technologies de duplication. Les cadres ne sont pas seulement des systèmes de diffusion ou des paquets pour le contenu, mais le mode expérientiel du contenu. […] Typiquement, le livre était le cadre des contenus écrits de longueur importante. Cʼest-à-dire une combinaison de papier, de technologies dʼimpression, dʼencre, de texte, dʼillustrations, de valeurs économiques et de statut social qui, ensemble, fournissent un cadre pour lʼécriture longue.13Citation originale : « My term for content containers is frame. Frames are as much about presenting content as containing it. Frames in my language are distribution mechanisms, channels and media. They are contexts, modes of understanding as much as duplicative technologies. Frames are not just delivery systems or packages for content but content’s experiential mode. […] Typically the frame for long-form written content was the book. That is, a combination of paper, printing technology, ink, text, artwork, economic values and social status which collectively provide a frame for long-form writing. »(Bhaskar, 2013, p. 84)
En résumé, les cadres sont les mécanismes de distribution et de présentation du contenu ainsi que les modes qui leur sont associés et subjectivement expérimentés. La notion de « cadre » est un raccourci pratique pour regrouper ces concepts interdépendants, les aspects matériels et immatériels de la présentation du contenu.14 (Bhaskar,Citation originale : « To summarize, frames are the distributional and presentational mechanisms for content plus their attendant and subjectively experienced modes. ‹ Frame › is a convenient shorthand for grouping these interlinked concepts, the material and immaterial aspects of presenting content. »2013, pp. 86‑89)
[…] on pourrait dire que les documents aident à définir et sont mutuellement définis par la fonction du « connaître-montrer », car la documentation est une pratique épistémique : le type de connaître enveloppé dans le montrer, et le montrer enveloppé dans le connaître. Les documents sont des objets épistémiques ; ils sont des sites reconnaissables et des sujets dʼinterprétation à travers et par-delà les disciplines, des structures à valeur de preuve dans la longue histoire humaine des indices. […] Le connaître-montrer et le ne-pas-montrer dépendent d’une évidence implicite qui est intrinsèquement rhétorique.34Citation originale : « […] one might say instead that documents help define and are mutually defined by the know-show function, since documenting is an epistemic practice: the kind of knowing that is all wrapped up with showing, and showing wrapped with knowing. Documents are epistemic objects; they are the recognizable sites and subjects of interpretation across the disciplines and beyond, evidential structures in the long human history of clues. [...] Both know show and no show depend on an implied self-evidence that is intrinsically rhetorical. As John Guillory notes, ‹ persuasion is implicit in docer. › If all documents share a certain « horizon of expectation,« then, the name of that horizon is accountability. »(Gitelman, 2014, p. 1)
Parti de la sphère publique en général, l’espace de communication scientifique comporte la publicité comme dimension constitutive. Le texte scientifique publié entre dans la sphère publique composée de deux segments : la communauté internationale des chercheurs et le public en général. Ces deux catégories exercent distinctement des fonctions critiques complémentaires. Par les règles du système de communication scientifique, être publié, en particulier par un éditeur reconnu, comprend des filtres d’évaluation et de validation. Les produits des activités éditoriales rejoignent le corpus documentaire scientifique et constituent la connaissance généralement admise. Cette dernière pourrait être qualifiée d’« opinion publique scientifique ». La communauté des chercheurs exerce une fonction publique dans son devoir de critique, de vérification, voire de réfutation des résultats de recherche publiés. (Beaudry, 2011, p. 165)
Ce qui caractérise lʼusage des TIC dans les pratiques de communication en sciences humaines et sociales, cʼest, nous semble-t-il, quʼelles réactivent dʼune manière particulière la tension que ces disciplines connaissent traditionnellement entre un pôle de scientificité, où les sciences de la nature jouent un rôle prédominant, et un espace public de plus en plus problématisé par lʼintermédiaire de la notion de « société de lʼinformation ». (Dacos & Mounier, 2009)
Si les SHS veulent pleinement jouer leur rôle dans l’interprétation et la compréhension de notre société, elles ne peuvent pas se permettre de le faire seulement dans le confort et l’isolement des murs de l’université. Elles ont intérêt à se doter de leur propre force de projection des idées, c’est-à-dire de leur propre média, au sens noble du terme de passeur entre deux mondes. […] En s’orientant ainsi résolument vers le public, elles ne renonceront pas à leur dimension scientifique, et même elles profiteront, par effet de levier, de perspectives méthodologiques nouvelles. (Dacos, 2012, §1)
Cette figure paroxystique de la communauté fait valoir la communion comme aboutissement contradictoire de la communication. Elle indique, a contrario, comment lʼinstitution dʼun espace public est précisément ce qui maintient la communauté à distance dʼelle-même : ce qui, certes, rapporte les individus les uns aux autres, mais qui dans le même temps les déporte les uns des autres, ce qui les soumet à un régime dʼimpropriété mutuelle afin de préserver les termes dʼun échange possible. Espace de distanciation, espace de médiation qui interdit le don de soi autant quʼil préserve du rapt de soi. (Tassin, 1992, p. 24)
Nous avons fait une démonstration montrant comment nous pouvions afficher à lʼécran un mémo avec de belles polices, et en particulier le logo Xerox dans sa police Xerox spécifique, puis lʼenvoyer par Ethernet et lʼimprimer sur lʼimprimante laser. Nous avons donc imprimé ce que nous avions créé à lʼécran sur du papier transparent pour diapositives. Une partie de la démo consistait à appuyer sur le bouton pour imprimer, puis nous avons tenu la version imprimée en l’air, devant lʼécran, de manière à ce que vous puissiez voir à travers le support transparent que les deux étaient identiques. En fait, elles nʼétaient pas exactement identiques, mais elles étaient suffisamment proches.2Citation originale : « We had a demo showing how we could display a memo with nice fonts, and specifically the Xerox logo in its specific Xerox font, on screen, and then send it through the Ethernet and print it out on the laser printer. So we printed what we had created on the screen onto transparent slide stock. Part of the demo was to push the button to print and then we held the printed version up, in front of the screen, so you could see through the transparent stock that the two were identical. Actually they werenʼt exactly identical, but they were close enough. »(Simonyi, 1997)
Ne faut-il pas […] envisager cette idée que l’industrie, loin d’être essentiellement un phénomène de masse et de quantité, est d’abord un fait intellectuel, l’engagement dans le monde d’un rapport à l’idéalité ? […] L’industrie serait en somme une puissance de modélisation. (Huyghe, 1999, p. 18)
Ce qui donne une apparence de légitimité à cette contrefaçon, dont l’illégitimité est pourtant si flagrante au premier aspect, c’est qu’un livre est, sous un rapport, un produit matériel de l’art (opus mecanicum), qui peut être imité (par celui qui en possède légitimement un exemplaire), et que par conséquent il y a là un droit réel. Mais, sous un autre rapport, c’est aussi un simple discours de l’auteur au public, et nul ne peut reproduire ce discours publiquement (præstatio operæ) sans avoir reçu la permission de l’auteur, de telle sorte qu’il y a là un droit personnel. L’erreur consiste à confondre ces deux droits. (Kant, 1853)
Ainsi s’éclaire sans aucun doute le statut paradoxal des textes scientifiques, supports irréductibles de la connaissance et de son exposition, et simultanément objets d’un processus ininterrompu d’obsolescence et de relégation : il repose sur la dissociation en leur sein entre caractéristiques textuelles et caractéristiques cognitives. (Berthelot, 2003b, p. 29)
Bien que non immatériel, le numérique est constitué dʼune série complexe de couches abstraites qui permettent aux programmeurs de travailler et de coder dans une machine abstraite déconnectée logiquement de la matérialité du silicium sous-jacent.16Citation originale : « Although not immaterial, the digital is constituted through a complex series of abstraction layers which actually do enable programmers to work and code in an abstract machine disconnected in a logical sense from the materiality of the underlying silicon. »(D. M. Berry, 2015, p. 46)
Le numérique a amplifié et naturalisé ces pratiques dans la mesure où les processus de fragmentation / recombinaison et de désémantisation / resémantisation lui sont constitutifs. Les systèmes dʼécriture numériques proposent des fonctions dʼécriture, qui répondent à des fondamentaux, ou tropismes, de lʼécriture numérique – comme la manipulabilité, lʼabstraction, lʼadressabilité, lʼuniversalité et le clonage […]. (Crozat, 2012)
L’objectivation consiste dans le fait que l’inscription constitue un objet appréhendé dans son autonomie et sa cohésion propres. Le contenu est un objet qui persiste à travers les lectures auquel il est toujours loisible de faire référence. L’objectivité du contenu s’instrumente à travers des inscriptions faisant référence, le fixant dans une forme fixe et pérenne. (Bachimont & Crozat, 2004, p. 9)
Ceux-ci [les lecteurs], en effet, ne sont jamais confrontés à des textes abstraits, idéaux, détachés de toute matérialité : ils manient des objets dont les organisations commandent leur lecture, partant leur appréhension et leur compréhension du texte lu. Contre une définition purement sémantique du texte, il faut tenir que les formes produisent du sens, et quʼun texte stable dans sa lettre est investi dʼune signification et dʼun statut inédits lorsque changent les dispositifs de lʼobjet typographique qui le proposent à la lecture. (Chartier, 1989, p. 1509)
Les intentions d’un auteur quand il a écrit un texte donné, celle des imprimeurs et des libraires quand ils ont décidé de la forme de sa publication, les sens différents que ses lecteurs lui ont donné sont autant de questions qu’aucune histoire du livre ne saurait éluder. (McKenzie, 1986/1991, p. 39)
Sans échafaudage formel, lʼécriture ne fonctionnerait pas. Un tableau généalogique qui nʼaurait pas les moyens de suivre les lignées ou de distinguer une génération dʼune autre ne remplirait guère ses fonctions de base, à savoir garantir les droits à la propriété, à lʼidentité ou au pouvoir. […] Ces relations ne sont pas seulement exprimées dans sa forme, elles sont faites dans son format.21Citation originale : « Without formal scaffolding, writing would not function. A genealogical chart that lacked the means to track bloodlines or distinguish one generation from another would hardly perform its basic functions – to secure claims to property, identity, or power. […] These relations are not merely expressed in its form, they are made in its format. »(Johanna Drucker, 2013a, pp. 89‑90)
Je suggère que les propriétés spécifiques dʼéléments graphiques évidents, bien que souvent inaperçus, apportent une contribution importante à la production de la signification – que lʼexpressivité de ces « inflexions » est plus que superficielle, et peut et doit être comprise comme partie intégrante de la textualité.22Citation originale : « I’m suggesting that the specific properties of evident and obvious graphical elements, though frequently unnoticed, make an important contribution to the production of semantic meaning – that the expressivity of these <inflections › is more than superficial, and can and should be understood as integral to textuality. »(Johanna Drucker, 2009, p. 162)
À mesure que l’on remonte vers la langue naturelle, l’inscription s’éloigne de l’incorporation et devient signe, c’est-à-dire moins performative que représentative, et de fait plus abstraite, effaçant son substrat matériel. Repenser la langue naturelle à partir du code permet paradoxalement de réintroduire la matérialité du signifiant […]. (Hayles, 2015)
Aucun texte nʼest « transféré » tel quel, comme un seau de charbon déplacé le long dʼun convoyeur. […] Le concept de matérialité performative a ici un double sens. Dans le premier sens, sur lequel je me suis concentré, la matérialité est comprise comme la production dʼun sens en tant que performance, tout comme tout autre « texte » est constitué par une lecture. […] Dans le second sens, la matérialité performative suggère une approche du design dans laquelle lʼutilisation sʼancre dans le substrat et la structure, de sorte que le modèle du contenu et ses expressions évoluent ensemble. La « structure du savoir » devient un « schème de connaissance » qui circonscrit lʼutilisation en même temps quʼil la provoque. Lʼidée dʼun utilisateur-consommateur est remplacée par celle dʼun fabricant-producteur, un artiste-interprète, dont la performance modifie le jeu.28 (Johanna Drucker,Citation originale : « No text is « transferred » wholesale, like a bucket of coal being moved along a conveyor. The text of a book is not ingested by a sequential processing of its ascii string or by literal reading of each item on a page and each page in turn. Nor is a web page. Every person produces a work as an individual experience, according to their disposition and capacity. […] The concept of performative materiality has a double meaning here. In the first sense, on which I have been concentrating, materiality is understood to produce meaning as a performance, just as any other « text » is constituted through a reading. That notion is fundamental to humanistic approaches to interpretation as situated, partial, non–repeatable. In the second sense, performative materiality suggests an approach to design in which use registers in the substrate and structure so that the content model and its expressions evolve. The « structure of knowledge » becomes a « scheme of knowing » that inscribes use as well as provoking it. The idea of a user-consumer is replaced by a maker-producer, a performer, whose performance changes the game. »2013b)
Ces unités sont déterminées a priori et le format définit ce quʼil est possible de faire avec elles. Il sʼinstaure alors une tension entre le format, technique et mobilisation des unités a priori, et les formes sémiotiques manifestées par ces formats, formes qui sont interprétatives et dégageant a posteriori les unités de sens. Ce qui est manipulable nʼest pas directement ce qui est signifiant, ce qui est signifiant nʼest pas directement ce qui est manipulable. (Bouchardon et al., 2012, p. 14)
Les métatextes numériques ne sont pas de simples commentaires sur un ensemble de textes. Dans de nombreux cas, ils contiennent des protocoles qui permettent des procédures dynamiques dʼanalyse, de recherche et de sélection, ainsi que dʼaffichage. Plus important encore, les métatextes expriment des modèles du champ de connaissances dans lequel ils opèrent.48Citation originale : « Digital metatexts are not merely commentaries on a set of texts. In many cases they contain protocols that enable dynamic procedures of analysis, search, and selection, as well as display. Even more importantly, metatexts express models of the field of knowledge in which they operate. »(Johanna Drucker, 2009, p. 11)
En séparant le logiciel utilisé pour créer et (surtout) modifier les pdfs du logiciel utilisé simplement pour les ouvrir et les lire, cʼest comme si Adobe avait réimaginé le monopole perdu par les imprimeurs au XIXe siècle et lʼavait ensuite effectivement réinstallé en miniature dans les canaux de communication quotidiens des entreprises.62Citation originale : « By separating the software used to create and (especially) modify pdfs from the software used merely to open and read them, it is as if Adobe reimagined the monopoly lost by printers in the nineteenth century and then effectively reinstalled it in miniature within the everyday channels of business communication. »(Gitelman, 2014, p. 130)
LaTeX nʼest pas un traitement de texte ! LaTeX encourage plutôt les auteurs à ne pas trop se soucier de lʼapparence de leurs documents, mais à se concentrer sur lʼobtention du bon contenu.67Citation originale : « LaTeX is not a word processor! Instead, LaTeX encourages authors not to worry too much about the appearance of their documents but to concentrate on getting the right content. »(« Introduction to LaTeX », 2009)
Pour autant que je sache, [les auteurs qui ont réfléchi profondément aux véritables avantages de LateX, nda] choisissent LaTeX pour la raison opposée à celle, stéréotypée, de se concentrer sur le contenu et dʼoublier le design. Par exemple, lʼun dʼentre eux affirme que « lʼordinateur devrait permettre à un écrivain ordinaire de produire une page de composition soignée, mais Word rend cette tâche extrêmement difficile à réaliser ». […] Ces auteurs utilisent LaTeX (ou des variantes de celui-ci) parce quʼils ne pensent pas « quʼil vaut mieux laisser la conception des documents aux concepteurs de documents » : en fait, ils lʼutilisent précisément parce quʼils veulent sʼessayer au métier de concepteur (qui est à son tour parce quʼils « sʼinquiètent... de lʼapparence de leurs documents »).68Citation originale : « As far as I can tell, they choose LaTeX for the opposite reason to the stereotypical one about focusing on content and forgetting about design. For example, one argues that ‘The computer should allow an ordinary writer to produce a polished typeset page, but Word makes this extremely difficult to achieve.’ (Goldstone n.d., para. 7) This reverses the above-quoted arguments for writing in LaTeX: that is, such authors use LaTeX (or variants thereof) because they do not believe ‘that it is better to leave document design to document designers’: in fact, they are using it precisely because they want to have a go at being designers (which is in turn because they ‘worry… about the appearance of their documents’). »(Allington, 2016)
De la confusion et de l’incertitude qui accompagnent le développement d’un standard, un ordre émerge et, aux yeux des non-initiés, un format commence à apparaître comme le résultat naturel d’un processus contingent et négocié. (Sterne, 2012/2018, p. 61)
Il s’agit de réduire la charge technique sur un auteur non qualifié pour traiter de forme, et optimiser le processus de production (Bachimont & Crozat, 2004).
Cette conception [qui associerait les « ressources » à un fond et leurs présentations à une « forme », nda] est fallacieuse, dans la mesure où la ressource est par définition inconsultable : séquence numérique, elle n’est appréhendable qu’à travers une mise en forme (par exemple, un éditeur XML). Il apparaît donc qu’il faut plutôt distinguer une forme particulière, « canonique », définissant conventionnellement un noyau contenu invariant, que des mises en formes déclineront en publications diverses. (Bachimont & Crozat, 2004)
Cependant, l’ingénierie des connaissances dont l’ingénierie est une composante n’est pas une science cognitive, fût-elle appliquée, mais une technologie intellectuelle : elle ne vise pas à déterminer la pensée en tant que telle, mais à élaborer des outils facilitant l’exercice de la pensée. (Bachimont, 2007a, p. 44)
La dissémination des formes et le calcul autorisent en effet le rêve qui consiste à donner à toute expression une forme immédiatement reconnaissable, intégrable, manipulable, « recombinable ». Or ces pratiques dʼingénierie nourrissent un fantasme enfantin de toute puissance : soumettre lʼensemble de la culture à un format unique qui assurerait une inter-traduction de toute production (modéliser, transformer, connecter, décombiner à lʼinfini). Fantasme qui trouve les moyens de ses désirs puisquʼil donne une « opérationnalité » économique aux formes culturelles et qui, dans son sillage, trace les éléments idéologiques dʼune « bonne » conception de la communication, à la fois transparente et combinatoire. (Emmanuël Souchier, 1998)
La tendance informatique à laquelle je fais référence apparaît plus concrètement dans ce que lʼon pourrait appeler (dans les termes de Lyotard pour le sublime contemporain) le point « imprésentable » de la page Web, celui où le contenu coule à travers un « îlot de données » dans le code de lʼinterface depuis des sources transcendantales – que ce soit des bases de données ou des documents XML.90Citation originale : « The IT emphasis I refer to appears most concretely in what might be called (in Lyotard’s terms for contemporary sublime) the ‹ unpresentable › spot on a Web page where content pours through a so-called ‹ data island › in the interface code from transcendental sources in the background –- whether databases or XML documents. »(Liu, 2002)
En dʼautres termes, soyons clairs : la séparation du contenu et de la présentation, qui est maintenant imposée par les technologies de lʼinformation axées sur le business, est un euphémisme. Dʼun point de vue historique, le « savoir » (le grand « contenu » de lʼentreprise post-industrielle) est extrait de ce que « présentation » signifie réellement : du travail.93Citation originale : « Let us be clear, in other words: the separation of content from presentation now being mandated by business-oriented information technology is a euphemism. From a historical perspective, ‹ knowledge › (the great ‹ content › of postindustrial business) is being extracted from what ‹ presentation › really means: labor. »(Liu, 2002)
Les textes des sciences humaines sont des constructions argumentatives qui tentent de tisser un lien plus ou moins fort entre des observations empiriques et des hypothèses théoriques, parfois à portée générale. (Bert, 2014b)
Les matériaux sont ineffables. Ils ne peuvent être épinglés par des concepts ou des catégories établis. Décrire un quelconque matériau, c’est se confronter à une énigme dont la clé ne peut être découverte qu’à travers l’observation et la relation active avec ce qui est là. L’énigme donne au matériau une voix et lui permet de dire sa propre histoire : c’est à nous, alors, de nous mettre à l’écoute des indices qu’il nous offre et de découvrir ce qu’il nous raconte. (Ingold, 2013/2017, p. 80)
Jane Bennett parle du désir de lʼartisan de voir ce quʼun matériau peut faire (par opposition au désir du scientifique dʼapprendre ce quʼun matériau est). Cette curiosité pour la matière, ce désir de comprendre ce que les choses peuvent faire, opère dans un registre différent de la critique. La théoricienne pourrait résister à un tel cadrage, arguant quʼelle travaille avec les mots comme son « matériau », voyant ce quʼils pourraient révéler lorsquʼon les étire au-delà du langage du sens commun. Elle a raison, mais il y a dʼautres matériaux que nous pourrions utiliser, dʼautres agencements à explorer, qui existent au-delà du réel discursif, des agencements qui pourraient nous faire évoluer vers de nouvelles alliances et de nouvelles pratiques.21Citation originale : « Jane Bennett writes of the craftpersonʼs desire to see what a material can do (as opposed to the scientistʼs desire to learn what a material is). This curiosity about the material, this desire to understand what things can do, operates in a different register from critique. The theorist might resist such a framing, arguing that she works with words as her ‹ material, › seeing what they might reveal when stretched beyond the vernacular of common sense. She is right, but there are other materials we might engage, other agencies to explore, that exist beyond the discursive real, agencies that might move us toward new alliances and new practices. »(McPherson, 2018, p. 20)
Voici comment cette idée fantaisiste a pris corps. Un « livre électronique », contrairement au codex imprimé, peut contenir de nombreuses strates organisées en forme de pyramide. Les lecteurs pourront télécharger le texte et parcourir la strate supérieure qui sera rédigée comme une monographie classique. Si cela leur suffit, ils imprimeront le texte, le relieront (il est possible aujourd’hui de brancher des relieuses aux ordinateurs et aux imprimantes) et l’étudieront à leur guise sous la forme d’un livre fabriqué sur commande. S’ils tombent sur quelque chose qui les intéresse plus particulièrement, ils cliqueront sur une autre strate et accéderont à un essai ou à un appendice supplémentaire. Ils pourront aussi continuer à s’enfoncer plus profondément dans le livre à travers un corpus de documents – bibliographie, historiographie, iconographie, musique de fond –, tout ce que j’aurai mis à leur disposition pour conduire à la compréhension la plus complète possible de mon sujet. (Darnton, 2012, pp. 248‑249)
Même sans récits formels, la base de données Kindred Britain est une revendication sur la forme et la nature de la culture britannique, et le site tente de formaliser une telle revendication en rendant certains mécanismes explicites. La limite entre la riche conservation dʼune base de données et la production de connaissances est ainsi une zone floue, une sorte de frontière entre les récits traditionnels de la recherche en sciences humaines et les archives interactives.28Citation originale : « Even without formal narratives, the Kindred Britain database is a claim about the shape and nature of British culture, and the site attempts to engage with formalizing such a claim by making aspects of it explicit. Where the rich curation of a database ends and where the scholarly production of knowledge begins is thus a fuzzy area—a kind of frontier between the traditional narratives of humanities scholarship and interactive archives. »(Jenkins, 2013)
Le processus de sélection de Vectors était disposé à favoriser les travaux qui engageaient des questions sociales, en particulier celles liées au féminisme, à la critical race theory et aux cultural or ethnic studies. Cela représentait en partie un effort pour remédier au discours de désincarnation et de dématérialisation de la culture du net à ses débuts et au tournant apolitique des computational humanities des décennies précédentes.43 (McPherson,Citation originale : « The Vectors selection process was disposed to favor work that engaged social issues, especially related to feminism, critical race theory, and cultural or ethnic studies. In part, this represented an effort to remediate the discourse of disembodiement and dematerialization of early net culture and the apolitical turn in humanities computing of the preceding decades. »2018, p. 129)
En présentant le « contenu » à travers un ensemble de protocoles culturels Warumungu qui limitent et améliorent (selon qui vous êtes) lʼéchange, la distribution et la création de connaissances, la logique interne du site remet en question les notions occidentales conventionnelles de « liberté » dʼinformation et de « partage » des connaissances ainsi que les exigences légales concernant les œuvres originales, « innovantes » et à auteur unique comme référence pour les définitions de la propriété intellectuelle. En naviguant sur le site, les utilisateurs rencontreront les protocoles qui limitent, définissent et rendent compte dʼune compréhension dynamique et polyphonique de la distribution et de la reproduction des connaissances.47Citation originale : « By presenting ‹ content › through a set of Warumungu cultural protocols that both limit and enhance (depending on who you are) the exchange, distribution and creation of knowledge, the siteʼs internal logic challenges conventional Western notions of the ‹ freedom › of information and knowledge ‹ sharing › as well as legal demands for single-authored, ‹ innovative, › original works as the benchmark for intellectual property definitions. As users navigate through the site, they will encounter the protocols that limit, define and account for a dynamic and multiply-produced understanding of knowledge distribution and reproduction. »(Christen, Cooney, & Ceglia, 2006b)
En dʼautres termes, jʼaimerais voir une interface où, si lʼon enlève tous les mots, le contenu visuel donnerait encore une impression générale de lʼargument de Kate selon lequel la relation entre le récit et la base de données peut être complexe et à plusieurs niveaux. Vos actions au sein de lʼinterface devraient être lʼexpression de cette idée, non seulement sur le plan fonctionnel, mais aussi viscéralement.49Citation originale : « To put it another way: what Iʼd like to see is an interface where, if you took all the words off of it, the visual content would still convey a general impression of Kateʼs argument that the relationship between narrative and database can be complex and multilayered. Your actions within the interface should be an expression of that idea, not just functionally, but viscerally as well. »(McPherson, 2018, p. 169)
Alors que nous nous installions dans nos rythmes de travail ces premières années, nous avons remarqué que de nombreux universitaires vivaient parfois le processus de collaboration comme une déqualification, ne serait-ce quʼà des moments particuliers. Les talents traditionnels des chercheurs en humanités – la création dʼune prose longue, la formulation dʼidées solitaires, la priorité donnée au texte – nʼétaient plus le seul terrain de travail.55Citation originale : « Despite this evocation of play, the process was not without its frictions. When our work on the first issue got under way following the 2004 summer camp, we came to realize that several of the projects and the journal itself would require more back-end support that we had initially realized. […] As we settled into our working rhythms those first few years, we noticed that many scholars would sometimes experience the process of collaboration as a deskilling, if only at particular moments. Traditional scholarly talents for humanists – the crafting of long-form prose, a solitary formulation of ideas, the privileging of text – were no longer the sole terrain of working. »(McPherson, 2018, p. 128)
En utilisant cet outil, les participants peuvent migrer depuis des formes linéaires de travail (comme lʼécriture pour la page ou la vidéo) vers des formes discrètes et interreliées. En substance, les chercheurs intègrent des modes de pensée « relationnels » dans leurs projets.57Citation originale : « By using the tool fellows migrate linear forms for scholarship (such as writing for the page or video) into discrete, interrelated forms. In essence, fellows incorporate ‹ relational › ways of thinking into their projects. »(Dietrich, 2010)
Dans un monde idéal, je continue de croire que chaque projet scientifique devrait trouver le design et la structure les mieux adaptés à ses preuves, arguments et objectifs uniques (et ce format sera parfois un livre imprimé !), mais ce monde serait difficile à financer et peut-être aussi plus difficile à soutenir et à préserver, car chaque projet aurait ses propres capacités, besoins et bizarreries. 61Citation originale : « In a ideal world, I still believe that each scholarly project should find the design and structure best suited to its unique evidence, argument, and purpose (and that format will sometimes be a print book!), but that world would be hard to fund and perhaps also harder to sustain and preserve, as each project would have its own capacities, needs, and quirks. »(McPherson, 2018, p. 161)
Dʼune certaine manière, je pense donc que Scalar fonctionne bien en rassemblant votre matériel source et en lʼimportant avant la réalisation de votre publication.69Citation originale : « So in some ways I see Scalar working well by gathering your source material and importing it in advance of building out your publication. »(Owens, 2018)
Nous venons ici pour vous offrir ce texte, avec à l’esprit l’importance de la négociation qui nous réunit tous. Ce texte a beaucoup de valeur pour nous. Nous comptons d’autant plus sur vous pour le remanier. Il est le résultat d’un travail collectif considérable, entrepris depuis plusieurs années. C’est un étrange exercice auquel nous allons nous livrer. Nous proposons de nommer cela diplomatie, néanmoins personne ne nous a mandatés, il n’y a pas de camps. C’est donc une sorte de diplomatie interne que nous proposons. En bons diplomates, commençons par nous présenter. En effet, nous présenter avec politesse, avec civilité, c’est aussi affirmer qu’il est certaines choses auxquelles nous sommes vraiment attachés sans bien savoir les définir. C’est là l’objet incertain de la conférence qui va nous réunir. (Boulanger et al., 2014)
Parce qu’ils échappaient à une forme inexplicable de transcendance et d’immobilité, parce qu’ils devenaient localisés, historiques, situés, artificiels, oui, inventés et constamment réinventés, en se reposant à chaque passage de relais la question de leur véracité, ces textes devenaient enfin actifs et proches. (Latour, 2012a, p. 551)
L’artiste, dit Souriau, n’est jamais le créateur, mais toujours l’instaurateur d’une œuvre qui vient à lui mais qui, sans lui, ne procéderait jamais vers l’existence. S’il y a une question que ne se pose jamais le sculpteur, c’est la question critique : « Est-ce moi ou est-ce la statue qui suis, qui est l’auteur de la statue ? » On reconnaît là le redoublement de l’action d’une part, l’oscillation du vecteur de l’action, d’autre part. Mais ce qui intéresse Souriau avant tout, c’est le troisième aspect, celui qui porte sur l’excellence et la qualité de lʼœuvre instaurée : si le sculpteur se réveille la nuit, c’est parce qu’il doit encore se laisser faire pour achever lʼœuvre ou la rater. (Latour, 2012b, p. 166)
Il n’y aurait donc pas d’un côté l’esprit (ou la culture ou le langage), et de l’autre l’être (ou la réalité ou le monde), mais plusieurs manières d’être. L’ontologie devient le discours de l’anthropologie, parce que la notion d’être apparaît comme le comparant le plus puissant. Cela ne signifie pas qu’il est le plus indéterminé, mais au contraire qu’il est le plus intense, celui qui nous oblige au déplacement et au dépaysement le plus grand. L’ idée de culture n’est qu’une conséquence d’une certaine « ontologie ». Il faut ici être radical : par « ontologie » nous n’entendons pas une « théorie » quant à l’Être, ni même des idées ou une « entente » de l’Être ; nous entendons bien des manières de déterminer quelque chose comme étant. […] La question n’est donc pas d’accepter comme étant tout ce qui est déclaré tel par les uns ou les autres, mais plutôt de mieux comprendre ce qui est effectivement dans notre monde par différence avec ce qui est dans les autres. (Maniglier, 2012a, p. 919)
Seulement, Souriau ne faisait aucun effort pour être anthropologique, il croyait parler de toute ontologie. Moi, je m’adresse à des gens qui ont extrait de toutes les altérations possibles de l’être-en-tant-qu’autre, un tout petit nombre, en tout cas qui en ont élaboré un tout petit nombre, et qui ont ensuite encombré le monde avec ce petit nombre. (Latour & Marinda, 2015, p. 8)
Si l’on résume, un mode d’existence quelconque est un réseau [RES] spécifié et identifié par une préposition [PRE], la seconde donnant la clef d’interprétation du premier. Cette clef d’interprétation, cette tonalité propre au mode d’existence, entraîne un type de passes particulier et donc une trajectoire particulière, qui elle-même implique l’instauration d’êtres spécifiques propre au mode concerné. (Famy, 2017)
Il faut être naïf pour croire au succès de tels pourparlers ? Eh oui, mais le diplomate est une figure hybride, naïve autant que retorse. Je prétends que le seul moyen de vérifier s’il s’agit là d’une illusion ou non, c’est de mener pour de vrai, en face à face, ces négociations avec ceux qui sont directement intéressés à formuler d’autres versions de leurs idéaux ; ce que nous allons pouvoir faire avec ce projet de recherche collaborative dont la troisième année suppose de tels pourparlers menés sur les zones de conflit de valeurs les plus « chaudes ». (Latour, 2012b, p. 482)
Cʼest seulement quand jʼai vu ce que le médialab était capable de faire, et quand jʼai vu toutes les choses sur le travail collaboratif – wiki et toutes ces choses – jʼai pensé que si je voulais rendre la tâche publique, ma propre limitation serait trop évidente, et il serait vraiment intéressant de partager le projet, lʼintérêt, aussi lʼénergie, avec les autres. Et je me suis dit : ‹ Comment tu fais ça ? › – Eh bien, le support numérique était un moyen évident de le faire. Jʼavais en quelque sorte exploré – et cʼétait un échec total – lʼoutil numérique dans la grande exposition sur ‹ Making things Public › que jʼai faite à Karlsruhe – donc, ça a échoué mais jʼai réalisé quʼil y avait beaucoup dʼautres moyens de connexion, car nous avions une exposition spéciale dans lʼexposition avec la première – cʼétait en 2005 – plateforme collaborative précoce.27Citation originale : « Itʼs only when I saw what the médialab was able to do, and when I saw all the things about collaborative work – wiki and all these things – I sort of thought that if I wanted to make the task public, my own limitation would be too obvious, and it would be really interesting to share the project, the interest, also the energy, with other the all. And I thought ‹ how do you do that ? › – well, the digital medium was an obvious way of doing it. I had sort of explored – and it was a complete failure – the digital tool in the big exhibition on ‹ making things public › I did in Karlsruhe – so, it failed but I realized that there was there lots of other ways of connecting, because we had a special exhibition inside the exhibition with the early – this was in 2005 – early collaborative platform. »
Lʼobjectif principal de lʼAIME est de trouver un moyen de trouver une définition alternative acceptable de ce quʼa signifié lʼaventure de la modernité maintenant quʼelle est largement terminée en raison du double phénomène de la perte de lʼhégémonie idéologique occidentale et de la montée des crises écologiques. Pour atteindre cet objectif, je veux construire un instrument spécifique conçu spécifiquement pour aborder cette double question de théorie sociale et dʼanthropologie comparée. Cʼest cet instrument qui devrait pouvoir transformer une poursuite individuelle en une enquête collective. Je ne mʼappuierai cependant pas sur un ensemble quantitatif dʼessais car il nʼy a aucun moyen dʼextraire des opinions avant dʼavoir renégocié les termes du débat. Cʼest précisément parce que la définition des modes dʼexistence nʼa pas de sens commun et quʼelle exige néanmoins dʼêtre empiriquement ancrée quʼil faut inventer un dispositif très spécifique et original.28Citation originale : « The main objective of AIME is to find a way to come up with an acceptable alternative definition of what has meant the adventure of modernity now that it is largely over because of the dual phenomena of the loss of Western ideological hegemony and the rise of ecological crisis. To reach this goal, I want to build a specific instrument uniquely devised to tackle this dual question of social theory and comparative anthropology. It is this instrument that should be able to transform an individual pursuit into a collective inquiry. I will not however rely on a quantitative set of trials since there is no way to extract opinions before having renegotiated the terms of the debate. It is precisely because the definition of modes of existence are not common sense and nonetheless demand to be empirically grounded that a highly specific and original set up has to be invented. »
Ainsi, au lieu de publier dʼabord un livre et dʼattendre que la critique fasse son travail plus ou moins au hasard, lʼidée mʼest venue de transformer la critique en un protocole de recherche organisé pour tester et, surtout, réviser les propositions que jʼavais faites initialement dans le livre.30Citation originale : « So, instead of first publishing a book and then wait for the critique to do its work more or less haphazardly, the idea came to me to turn the critique into an organized research protocol to test and, above all, to revise the propositions I made initially in the book. »
La deuxième partie de lʼinstrument AIME est finalisée. A travers une conférence – et probablement une petite exposition sur les rouages du projet AIME du début à la fin – toutes les reformulations et re-descriptions des propositions originales seront proposées et rapportées dans lʼenquête originale (si possible le livre original sera réécrit et republié).33Citation originale : « The second part of the AIME-instrument is finalised. Through a conference – and probably a small exhibition on the machinery of the AIME project from its inception to the end – all the reformulations and re-descriptions of the original propositions will be proposed and fed back in the original inquiry (if possible the original book will be rewritten and republished). »
Cʼest la partie la plus difficile et la plus risquée puisquʼil faut parier, dʼune part, sur le fait que toute lʼenquête nʼest pas idiosyncrasique au point dʼexclure toute collaboration et, dʼautre part, sur la possibilité de concevoir une plateforme suffisamment riche pour permettre un jugement partagé. Je nʼai pas lʼintention de laisser les gens réagir ouvertement dans le genre de Wikipédia ou dans la culture des blogs qui est maintenant si bien établie. Dʼune part, lʼoriginalité des définitions des différents modes exige un prix dʼentrée trop élevé ; dʼautre part, si les conditions à remplir pour participer sont trop étroitement définies, aucun outsider ne pourra y accéder. (…) Cʼest bien sûr la partie la plus difficile puisquʼil sʼagit de repérer les lignes de front qui sont assez chaudes pour intéresser les gens à participer à une telle entreprise et pas assez chaudes pour quʼaucune rencontre diplomatique ne soit possible. Lʼautre difficulté est de trouver des participants prêts à essayer le dispositif, même sʼil a été défini, au moins au début, par un philosophe individuel.38Citation originale : « This is the most difficult and risky part since we have to bet, first, on the fact that the whole inquiry is not so idiosyncratic as to preclude any collaboration, and second, on the possibility of devising a platform rich enough to allow shared judgment. I am not planning to simply let people react openly in the sort of Wikipedia or blog culture now so well established. On the one hand, the originality of the definitions of the various modes requires too high a prize of entry; on the other hand, if the conditions to be met for participating are too narrowly defined, no outsider will be able to get in. […] It is of course the most difficult part since it means to ferret out front lines which are hot enough to make people interested in participating in such an undertaking and not so hot that no diplomatic encounter be possible. The other difficulty is to find participants that are ready to try out the set up even though it has been defined, at least at first, by an individual philosopher. »
Les esquisses alors réalisées ne permettent pas toujours de distinguer ce qui relève de la représentation schématique de la structure technique des contenus, de principes de navigation, ou d’esquisses d’éléments d’interface à proprement parler. Elles donnent à voir des tentatives différentes visant à investir le réseau selon différentes méthodes ou métaphores de spatialisation et de visualisation de la topologie des contenus, qui se stabilisent progressivement dans des métaphores visuelles et kinétiques reposant sur des dynamiques de déploiement ou de dépliage progressif.
Tout le monde venait dʼhorizons différents, donc le tout début était dʼétablir clairement quel sens donner à tous les mots que nous utilisons dans le projet. Et cela a pris un certain temps, dans le sens où cela a été un processus vraiment douloureux, parce quʼil est évident que construire un fond commun est presque la tâche la plus difficile dans un projet. Mais nous y sommes parvenus, et cʼest à ce moment-là que nous avons commencé à planifier, ou à… de nouveau à prévoir lʼensemble de la machine, ou tout lʼécosystème des technologies aurait pu être mis en place. […] Et même dans ce cas, le processus ne sʼest pas déroulé sans heurts, en ce sens que pour prévoir quelque chose qui nʼa jamais été vu auparavant, il suffisait que les gens imaginent quelque chose, et chacun imagine quelque chose de différent, on ne peut homogénéiser lʼimagination ou la volonté dʼatteindre un but donné dʼune certaine manière par tous les participants du groupe.40Citation originale : « Everybody was coming from a different background, so the very very beginning was to make clear which sense should be given to all the words that we are using in project. And this took a while, in the sense that it has been a really painful process, because obviously build a common background is almost the most difficult task in a project. But we managed to achieve this, and at that point we started to plan, or to …. again to foresee the entire machine, or the entire ecosystem of technologies could have been set up. […] And even in this case, the process was not so smooth, in the sense that foreseeing something that has been never seen before just required people to imagine something, and everybody is imagining something different, you cannot homogeneize the imagination or the will to achieve a certain goal in a certain manner by all the participants in the group. »
Le design est ainsi mobilisé pour faire une proposition apte à articuler les composantes éditoriales, techniques et scientifiques de l’équipe. En Mars 2012, le livre et les deux plateformes annoncées par le projet se sont transformées en cinq « instances » dédiées à des finalités différentes : la première, l’ouvrage imprimé, doit maintenant faire office de « rapport préliminaire » au moyen d’un texte annoté de symboles typographiques « special words », et d’un tableau croisé représentant les rencontres de modes ; à celle-ci s’ajoute une interface intitulée « trail » (qui deviendra par la suite l’interface « enquête », « livre » ou « colonnes ») qui représente la connexion entre le texte initial et la documentation de Bruno Latour ; cette dernière doit être accompagnée d’un ensemble de visualisations interactives intitulées « concept clouds », permettant de naviguer spécifiquement à travers le vocabulaire de l’ensemble, et d’une entrée « laboratoire » représentant l’ensemble des contenus sous la forme d’un réseau ; ces deux premières entrées numériques, qui ne traitent pas la question de la participation à l’enquête en propre, sont pensées en corrélation avec une entrée intitulée « cube » qui permettrait aux lecteurs d’assembler les concepts sous la forme d’assemblages entre portions de textes et documents. On retrouve dans cette proposition certains des éléments de l’infrastructure telle qu’elle s’est ensuite développée, mais également une dimension distribuée plus importante que ce que le calendrier de l’ensemble de l’entreprise a finalement permis.
Nous avons tout expérimenté, du modèle à la façon de faire défiler… Au début nous utilisions beaucoup de plugins et à la fin nous nous sommes débarrassés de tout et nous avons reconstruit une structure plus solide. Il y a donc eu beaucoup dʼexpérimentation. Le code de l’interface doit être suffisamment flexible pour supporter cette charge. On attendait beaucoup des expérimentations qui ont échoué, et nous avons dû réfléchir à nouveau à la structure. Cela nous a obligés à suivre un processus étape par étape afin de publier, donc des règles strictes ont été mises en place afin de ne pas produire de bazar– parce qu’avec beaucoup de gens [du projet], cela pouvait devenir le bazar…42Citation originale : « We experimented everything, from the model to the way to scroll, … At the beginning we used a lot of plugins and at the end we got rid of everything and we rebuilt a more solid structure. So there were a lot of experimentation. The front-end should be flexible enough to handle this load. There were great expectations from the experimentations which failed, and then we had to think again about the structure. It forced us to follow a step-by-step process in order to publish, so there were some strict rules put in place in order to not to produce a mess – because with a lot of people it could be a mess. »
Donc on est un peu dans cette situation inconfortable où on mène une expérimentation, mais une expérimentation à une certaine échelle – le public sʼest retrouvé dans la position de bêta testeur – cʼest quelque chose quʼon a dû gérer.
Par exemple au début avec la mise en question de lʼinstitution scientifique, si on avait organisé le livre à partir des controverses réelles et puis on avait élaboré autour le dispositif conceptuel, lʼenvironnement avec les quatre colonnes aurait peut-être pu mieux faire avec la diplomatie, et il est un peu limité par rapport à cela. […] Finalement les quatre colonnes ont dû absorber des choses qui nʼont pas été prévues pour cet environnement-là.46Entretien avec Dorothea Heinz, 23 Juillet 2014.
Paul Girard : ‹ est-ce que ça irait jusqu’à réécrire des parties du livre ? ›
Bruno Latour : ‹ Non on touche pas au texte [rires]. On vient pas me saloper mon texte [rires]. ›
Et donc le format a évolué et toute la difficulté étant dans un projet expérimental comme celui-là de savoir faire bouger les choses sans non plus avoir lʼimpression dʼun manque de rigueur, dʼun manque de stabilité ou de fermeté sur des principes dʼinvestigation scientifique.
Le lecteur un peu déboussolé ne pourra d’ailleurs pas s’appuyer sur ce qui peut aider habituellement en science sociales, à savoir des notes de bas de page avec des références ou une bibliographie indiquant les points d’appui de l’auteur. Était-il censé faire des allers-retours constants entre le livre et le site ? Ce site compagnon l’aidera en fait peu puisqu’il ne semble guère avoir évolué depuis sa mise en ligne et qu’il en est resté, malgré les mois écoulés, à une présentation des grandes orientations de l’enquête. (Rumpala, 2013)
Étant donné le rôle prépondérant accordé au vocabulaire dans la plateforme AIME, jʼai recherché un certain nombre de termes pour me faire une idée du champ discursif quʼil permet. Les phénomènes au centre de mes préoccupations nʼont guère été évoqués. La pétrochimie, par exemple, nʼétait présente que parce quʼelle offre un contraste Moderne par rapport au traditionnel. Sur une page, figure un chameau accompagné en arrière-plan dʼun terrain dʼusine pétrochimique, avec un commentaire ironique sur ce contraste cliché. Les produits pétrochimiques ne faisaient par ailleurs pas partie du vocabulaire, de la documentation ou des commentaires.69 (Fortun,Citation originale : « Given the prominent role accorded to vocabulary in the AIME platform, I searched for a number of terms to get a sense of the discursive field enabled by it. Little came up on phenomena at the center of my concern. Petrochemicals, for example, were present only as they offer a Modern contrast to the traditional. On one page, the camel is figure, a petrochemical factory ground, with a wry commentary on the clichéd contrast. Petrochemicals were not otherwise part of the vocabulary, documentation, or commentary. »2014)
An Inquiry into Modes of Existence (AIME) est un livre et fait partie dʼun projet web (projet AIME), comprenant trois livres : un livre numérique (imprimable) lors du lancement ; ce livre (Latour 2013a) ; et un qui accompagnera une exposition en août 2014. Le projet comporte trois phases : la conception de Latour ; un environnement de réaction avec des « co-enquêteurs » formés qui modèrent, filtrent et façonnent étroitement les contributions de toute personne qui sʼinscrit pour participer (une sorte de modèle Wikipédia) ; et une présentation finale.71 (Fischer,Citation originale : « An Inquiry into Modes of Existence (AIME) is a book and part of a web project (AIME project), including three books: a digital book (printable) at the launch; this book (Latour 2013a); and one that will accompany an August 2014 exhibition. The project has three phases: Latour’s conception; a Reaction Environment with trained ‹ co-enquirers › closely moderating, filtering, and shaping inputs from anyone who registers to participate (a Wikipedia sort of model); and a final completed presentation. »2014)
Oui, je… jʼai surligné le texte, jʼai pris mes propres notes. Parfois, quand je lisais le livre, et quʼil y avait quelque chose que je voulais surligner là, je venais sur la plateforme, et je le surlignais là aussi. Pour essayer de faire un peu de correspondance entre le texte.73Entretien avec « Joshua », contributeur, publié dans (Nyrup & Thomsen, 2015). Extrait original de l’entretien : « Yeah, I.. I highlighted text, made my own notes. Ehm.. sometimes when I would be reading the book, eh.. that [???].. that there was something I wanted to highlight there, I would come to the platform, and highlight it there as well. To try and making a little bit of correspondence between the text. »
Les quatre colonnes par exemple, à trois reprises cʼest revenu cette idée que cʼest les quatre colonnes avec cette idée très sacrée, très belle quoi. Et le fait que ce soit très beau avait un effet aussi contre-productif, parce que cʼest pas un « draft »80, si cʼestTraduction : brouillon, esquisse.si beau cʼest que cʼest pas un « draft », or ça se présentait comme un rapport provisoire.
En fait, il y a 75 000 modes d’existence possibles, bien entendu, la liste n’est pas finie. Chacun peut faire ce qu’il veut avec la notion de mode d’existence, je n’ai pas de quality control à exercer sur cette notion… Mais puisque vous me demandez mon avis sur l’intérêt d’un [MED], je dirais que cela pose trois questions : premièrement, est-ce qu’on voit des erreurs de catégories qui sont particulièrement repérables ? Deuxièmement, est-ce que ce mode a été élaboré dans la tradition des Modernes, de façon à ce qu’on puisse réflexivement le ré-instituer, et comprendre pourquoi il a été mal institué ? Et, troisièmement – c’est ce qu’on essaie de faire maintenant avec le travail de « diplomatie » – est-ce qu’il est urgent de souligner ce mode d’existence pour pouvoir se repérer dans la négociation actuelle ? Dans tous les cas, il faut avoir des documents face auxquels on se dise que si on n’a pas ce mode d’existence, on rate quelque chose et que les êtres propres à ce mode sont maltraités. (Latour et al., 2014)
La première [contribution] était juste une sorte de test, un jeu, pour voir comment cette chose fonctionne. Et puis je lʼai lu, ou jʼen ai lu des parties, et ça a déclenché le travail que je suis en train de faire, et puis jʼai fait dialoguer ces choses. […] Je suppose que jʼavais un certain sens de ce quʼétait le langage, de ce quʼétaient les attentes intellectuelles, je faisais déjà un travail assez empirique, euh… alors je me suis dit que cʼétait la meilleure chose [une contribution empirique] que je pouvais apporter… […] Donc, je sais aussi que je ne savais pas si jʼétais censé pointer vers dʼautres documents, dʼautres réf… Jʼétais censé pointer des références et dire, ‹ regardez ça, ça croise ›, ou si jʼétais censé développer ça un peu plus. Et jʼai fait un peu des deux, et jʼai continué à développer.81Entretien avec « Joshua », contributeur, publié dans (Nyrup & Thomsen, 2015). Extrait original : « Well the first one was just kind of testing, playing around, seeing how does this thing work. Ehm.. and then having.. reading it, or reading parts of it, and having it trigger to the work that Iʼm doing, and then sort of interplaying those things. […] I guess I had a certain sense for what the.. what the.. the language was.. what the, kind of eh.. intellectual expectations were, ehm.. I.. I already was doing fairly empirically based work ehm.. so I.. I suspected that was the best thing that I could contribute.. […] So, I also know my confusion of whether I was supposed to be pointing to other documents, other ref.. I was supposed to be pointing to references and saying, ʼlook at this, it crosses overʼ, or if I was supposed to be developing that a little bit more. And I have done a bit of both, and have moved into the development. »
Quand la contribution est validée en l’état, avec peu de corrections cela fonctionne bien selon le dispositif en place. Mais dès que le contribution est plus compliquée, car elle implique des modifications importantes suite à un rejet, le fil de la discussion peut vite se couper car l’échange par mail éloigne le commentaire et les arguments de la contribution présents sur la plateforme.84Entretien avec « Aurélien », contributeur et artiste, publié dans (Nyrup & Thomsen, 2015).
Vous devez régler votre… le bouton, la souris – cliquer sur un point du texte et ensuite vous réagissez sur celui-ci. Et je nʼai pas trouvé beaucoup de points auxquels je pensais vraiment, cʼest là que je voudrais ajouter quelque chose, mais jʼavais des idées plus générales sur ce que je ressentais.86Entretien avec « Christian », contributeur et architecte, publié dans (Nyrup & Thomsen, 2015). Extrait original :« You have to set your.. the button, the mouse – click on one point of the text and then you react on this one. And I didnʼt find that many points I really thought, thatʼs where I would like to add something, but I had more general ideas of what I felt. »
Cette contribution sʼefforce dʼintervenir sur un point général propre à la démarche de toute lʼEnquête. Cʼest pourquoi elle sʼancre sur le dernier chapitre et porte son attention sur lʼaboutissement de lʼontologie proposée à savoir le mode de la moralité [MOR], dernier mode du dernier groupe avant le groupe du méta-langage de lʼEnquête. (Viveiros de Castro, 2013)
La prise en main du design de lʼinterface nʼétait pas évidente. Et je me suis rendu compte assez rapidement quʼil y avait un goulot dʼétranglement important sur le simple fait que toute lʼenquête reposait sur un tout petit dispositif technique qui était la capacité des gens à voir sʼafficher ce menu contextuel avec une étoile bleue et une petite bulle, un petit… une infobulle mais ça porte un nom grec qui mʼéchappe… un phylactère. Un petit phylactère qui veut dire ‹ vous pouvez commenter ça ›, et donc ce petit menu contextuel déjà il y avait beaucoup de gens qui arrivaient même pas à le faire sʼafficher, il y avait beaucoup de gens qui une fois quʼil sʼaffichait ne comprenaient pas quʼest-ce quʼon attendait, et ça ça a été très difficile.
Jʼai écrit et publié sur mon blog, sur Scribd, et sur academia.edu, plus dʼune centaine de pages résumant mes réactions au projet AIME. Jʼai analysé le statut philosophique du livre, examiné ses sources philosophiques et discuté des projets comparables menés par dʼautres philosophes contemporains (notamment Hubert Dreyfus et Bernard Stiegler), et je me suis concentré sur lʼexamen critique des récits des modes scientifique, métamorphique et religieux. Je nʼai reçu aucune réponse.87Citation originale : « I have written and published on my blog, on Scribd, and on academia.edu, over a hundred pages summarising my reactions to the AIME project. I have analysed the philosophical status of the book, examined its philosophical sources, and discussed comparable projects carried out by other contemporary philosophers (notably Hubert Dreyfus and Bernard Stiegler), and I have concentrated on examining critically the accounts of the scientific, the metamorphic and the religious modes. I have received nothing at all in reply. »(Terence Blake, 2014)
Ehm… parce que jʼai considéré la contribution sur la religion que vous pouvez… Jʼai considéré que cʼétait une bonne contribution. Jʼy ai travaillé, je lʼai écrite, je lʼai réécrite plusieurs fois… et jʼai pensé quʼil nʼétait pas acceptable quʼil [Bruno Latour] ne la publie pas. Jʼavais beaucoup plus à dire mais lʼéchange et la discussion qui est exclue par la structure de la plate-forme, est possible pour moi, parce que jʼai un blog. […] Et je ne vais pas faire … venir et supplier pour faire accepter une contribution dans la ligne du parti. Cʼétait une… pour moi une invitation à parler encore plus librement eh… sur mon blog, sur Facebook… et sur Tumblr, Youtube et Facebook et Twitter. Jʼai donc décidé que je parlerais en mon nom propre.89Entretien avec « William », contributeur et philosophe, publié dans (Nyrup & Thomsen, 2015). Extrait original de l’entretien : « Ehm.. because I considered the.. well the contribution on religion you can.. I considered to be eh.. a good contribution. I worked on it.. I wrote it.. rewrote it a couple of times.. and eh.. I thought that there was not ehm.. in-acceptable that he not published it. I had a lot more to say.. ehm.. but eh.. the.. the exchange and the discussion ehm.. that is excluded by the structure of the platform, is possible for me, because I have a blog. Lots of people donʼt have blogs and that would reduce them to (loss of connection) … didnʼt want my contributions, thatʼs okay. And Iʼm not going to do.. come and beg to get a party line contribution accepted. That was a.. for me an invitation to speak even more freely eh.. on my blog, on Facebook.. and on Tumblr, Youtube and Facebook and Twitter. So I decided I.. I would eh.. speakin my own name. »
Je considère donc que … mon intérêt est différent de celui des contributeurs bien sûr, mais mon intérêt est que les contributeurs mʼaident à remplir mon questionnaire [rires]. Mais vous ne pouvez pas demander aux gens de contribuer. Leur intérêt est donc dʼutiliser lʼargument pour enquêter sur dʼautres types dʼaffaires qui les intéressent très directement.92Citation originale : « So I consider that … my interest is different from contributors of course but my interest is that contributers help me filling in my questionnaire [rires]. But you cannot ask people to contribute. So their interest is to use the argument to beam on some other sorts of affairs which very very directly interest them. »
Les arbitres, les sept arbitres [évaluateurs de l’European Research Council, nda] qui ont lu ma candidature, ont tous dit quʼelle échouerait, mais quʼelle devait quand même être financée, en priorité. Chacun dʼentre eux a dit quʼil nʼy avait aucune chance que cela fonctionne. Mais quʼils devaient la financer sans même en discuter. Ils ont dit que la plateforme ne fonctionnerait pas, quʼelle est beaucoup trop grande, que la chose diplomatique est impossible, etc. […] Bien sûr quʼils avaient raison ! Cʼest un projet complètement impossible.94Citation originale : « The referees, the seven referees who read my application, they all said it would fail, but it had to be funded, first priority. But every one of them said there is no way that it would work. But they had to fund it without even discussing it. They said that the platform would not work, that it is much too big, the diplomatic thing is impossible, et cetera. […] Of course they were right! It’s a completely impossible project. »(Latour, 2014)
Le défi, maintenant, consiste à écrire une ecclésiologie qui reflète de manière sympathique mais aussi critique sa propre provenance, tout en étant capable dʼincorporer, mieux encore : de manifester les caractéristiques mentionnées ci-dessus. Cette ecclésiologie ne doit donc pas être directive mais doit être participative et démocratique sans être arbitraire ; elle doit montrer quelque chose de ce processus de dialogue et de controverse en cours et jamais achevé[…].22Citation originale : « The challenge now is to write an ecclesiology which sympathetically but also critically reflects it own provenance, while being able to incorporate, better still: to manifest those above mentioned characteristics. Hence this ecclesiology must not be directive but has to be participative and democratic without being arbitrary; it has to show something of that ongoing and never completed process of dialogue and controversy in order to realize, that the truth cannot be discerned by one group or individual alone, but – albeit on Earth still in a preliminary way – only by the whole body of Christ ». Extrait du texte préparatoire au workshop écrit par Cristina Aus Der Au.
Elle nʼest pas seulement un outil et une structure qui aime se présenter comme le modèle parfait. Cʼest aussi dans son contenu que jʼai trouvé une analogie […]. Je commencerais donc aussi par des « croisements » – ces valeurs et concepts clés, qui peuvent être abordés par différents chemins, en essayant dʼatteindre une pluralité qui soit aussi englobante que possible et qui permette en même temps un dialogue mutuel et, espérons-le, une compréhension. Lʼensemble du processus lui-même permettrait ensuite de cartographier le corps de lʼéglise dans son existence dynamique et son ouverture.23Extrait du texte préliminaire écrit par Cristina Aus Der Au. Citation originale : « It is not only as a tool and a structure that aime presented itself as the perfect model. It’s also in its content that I found an analogy […]. So I would also start with « crossings » – those values and key concepts, that can be approached via different pathways, trying to reach a plurality that is as encompassing as possible and at the same time enabling mutual dialogue and hopefully comprehension. The entire process itself would then map the body of the church in its dynamic existence and openness. »
Dans lʼart de lʼenquête, le développement de la pensée accompagne et répond continuellement aux flux des matériaux avec lesquels nous travaillons. Ces matériaux pensent en nous comme nous pensons à travers eux. Ici, chaque mise en œuvre constitue une expérimentation, non pas au sens où lʼentendent les sciences de la nature (comme mise à lʼépreuve dʼhypothèses prédéfinies), et pas davantage au sens technologique dʼune confrontation entre des idées ‹ dans la tête › et des faits ‹ sur le terrain ›, mais plutôt au sens dʼun éclaireur qui fraye un chemin et poursuit sa route pour voir où elle le conduit. (Ingold, 2013/2017, p. 32)
Le design, lui aussi, évite le clivage entre les données et la théorie. Il ne procède pas par la collecte de données puis ensuite leur théorisation ; il propose plutôt ses expériences et ses improvisations comme des interventions imaginatives nourries par des engagements observationnels dans le monde. Comme les interventions de l’observation participante anthropologique, elles sont proposées comme des moyens de se joindre aux gens pour avancer dans leur vie, plutôt que comme des moyens de collecter du « matériel » sur eux ou à leur sujet. Et elles constituent en même temps un processus dʼapprentissage, une éducation de lʼattention – une façon de regarder des choses familières rendues inhabituelles par lʼintroduction de nos propres inventions. En dʼautres termes, le design est une pratique de ce que jʼappelle la correspondance, formellement analogue à lʼobservation participante.43Citation originale : « Design, too, eschews the data/theory divide. It does not first collect the data and then theorise about them; rather it offers its experiments and improvisations as imaginative interventions nourished by observational engagements in the world. As with the interventions of anthropological participant observation, they are offered as ways of joining with people in moving forward with their lives, rather than as ways of collecting ‘material’ on or about them. And they amount, at the same time, to a process of learning, an education of attention – a way of looking at familiar things rendered unfamiliar by the introduction of inventions of our own. That is to say, design is a practice of what I call correspondence, formally analogous to participant observation. »(Ingold, 2015, p. 6)
Ces outils, loin dʼêtre utilisés sur le devant de la scène dans un contexte performatif, ne sont remarqués que lorsquʼils tombent en panne ou refusent de travailler en toute transparence. De tels outils nʼexpliquent pas ou nʼargumentent pas, mais facilitent. […] Un artefact numérique qui vous montre de manière transparente quelque chose dʼautre peut transmettre des connaissances, mais il nʼintervient pas comme une explication ou un argument ; il sʼéloigne de la vue au profit de ce qui est représenté.64Citation originale : « Such tools, far from being employed on the center stage in a performative context, are only noticed when they break down or refuse to work transparently. Such tools donʼt explain or argue but simply facilitate. […] A digital artifact that transparently shows you something else might convey knowledge, but it doesnʼt intervene as an explanation or argument; it recedes from view before that which is represented. »(Ramsay & Rockwell, 2012, p. 78)
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Thèse écrite et soutenue par Robin de Mourat.
Le texte a été composé avec la police de caractère Source serif pro conçue par Frank Grießhammer, et la police Source sans pro conçue par Paul D. Hunt, toutes deux publiées sous licence Open Font.
Mise en page au moyen du logiciel Ovide, des modules du projet Peritext, du langage Cascading Style Sheets et de la technologie libre paged.js.
Imprimé en Juillet 2020 à l'Université Rennes 2.
La diffusion des technologies numériques dans les pratiques de recherche, ainsi que les mutations socio-professionnelles des mondes universitaires et éditoriaux du début du vingt-et-unième siècle, ont donné lieu à de multiples déstabilisations dans les modalités d’enquête, d’écriture et d’édition impliquées par les activités de publication des chercheurs en Sciences Humaines et Sociales. En écho à ces transformations, des démarches expérimentales diverses impliquant des collectifs interdisciplinaires dans l’élaboration de formats de publication inédits se sont développées. Ces démarches ont été en dialogue et parfois en friction avec les normes, les codes et les habitudes partagées constitutives de leurs horizons de pratique. Dans ce contexte, cette recherche porte sur les effets esthétiques, socio-techniques, méthodologiques et épistémologiques du dialogue entre pratiques conventionnelles et pratiques expérimentales de la publication en Sciences Humaines et Sociales. À travers une démarche d’enquête en design articulant observation, écriture et fabrication via une série de dérivations, cette recherche vise ainsi à reconstituer le rôle de la matérialité dans la formation des collectifs de recherche contemporains.
Mots-clés : design, Sciences Humaines et Sociales, édition, écriture, multimodalité.
The diffusion of digital technologies in research practices, as well as the socio-professional changes in the academic and editorial worlds at the beginning of the twenty-first century, have led to multiple destabilizations in the modes of investigation, writing and publishing involved in the publication activities of Humanities and Social Sciences researchers. Echoing these transformations, various experimental endeavours involving interdisciplinary collectives in the elaboration of novel publication formats have developed. These endeavours have been in dialogue and sometimes in friction with the norms, codes and shared habits that constituted their horizons of practice. In this context, this research focuses on the aesthetic, socio-technical, methodological and epistemological effects of the dialogue between conventional and experimental practices of publishing in the Human and Social Sciences. Through a design inquiry process articulating observation, writing and making through a series of derivations, this research aims at reconstituting the role of materiality in contemporary research collective formation.
Keywords: design, Humanities and Social Sciences, publishing, writing, multimodality.
Les pratiques relatives à la publication universitaire n’ont jamais été, hier comme aujourd’hui, un travail solitaire : cette thèse en est une nouvelle démonstration.
Je remercie tout d’abord chaleureusement les deux encadrants de cette recherche, Nicolas Thély et Donato Ricci, qui m’ont ouvert des horizons intellectuels insoupçonnés autant qu’ils m’ont guidé dans la découverte du monde de la recherche, avec générosité, confiance et bienveillance.
Je remercie Clarisse Bardiot, Jean-François Bert, Leszek Brogowski, Annie Gentès, et Marcello Vitali-Rosati pour avoir accepté d’examiner ce travail.
L’équipe du projet Enquête sur les Modes d’Existence m’a accueilli et permis de plonger dans une aventure riche et unique qui a occupé un rôle pivot et fertile pour l’ensemble de ce travail : Bruno Latour, Christophe Leclercq, Paul Girard, Pierre-Laurent Boulanger, Pierre Jullian de la Fuente, Daniele Guido, et l’ensemble des participant.e.s et des étudiant.e.s croisés dans le cadre de ce terrain.
Les membres passés et présents du laboratoire médialab, rencontrés au début de cette thèse puis maintes fois retrouvés, m’ont soutenu et permis de finaliser ce travail tout en lui donnant beaucoup de sens, grâce à un environnement intellectuel mais aussi humain de grande valeur : Paul Girard, Nicolas Benvegnu, Barbara Bender, Guillaume Plique, Benjamin Ooghe-Tabanou, Axel Meunier, Thomas Tari, Audrey Baneyx, Vincent Lepinay, Mengying Du, Diégo Antolinos-Basso, Pierre-Laurent Boulanger, Agata Brilli, Dominique Cardon, Vincent Casanova, Jean-Philippe Cointet, Gabriele Colombo, Maxime Crépel, Martin Delabre, Marine Denis, William Diakité, Jules Farjas, Justine Gaucherand, Daniele Guido, Reiko Hasegawa, Mathieu Jacomy, Alexis Jacomy, Biljana Jankovic, Pierre Jullian de la Fuente, Anne L'Hôte, Christophe Leclercq, Audrey Lohard, Damien Marié, Sylvain Parasie, Julia Perczel, Oubine Perrin, Davy Peter Braun, Arnaud Pichon, Isabel Ruck, Antoine Trouche, Amélie Vairelles, Tommaso Venturini, Benoît Verjat, et toutes les autres personnes avec qui j’ai échangé dans ce cadre.
Amandine Langlois, co-équipière de retraites studieuses et de discussions passionnantes, m’a inspiré par son indéfectible optimisme et son sens des choses faites.
Julie Blanc, Émeline Brulé, Loup Cellard, Christophe Leclercq, ont été des relecteurs perspicaces et précis, et des discutants de haute volée.
Le groupe de recherche MONADE a été l’occasion de discussions et d’expérimentations riches qui m’ont permis d’ouvrir des perspectives nouvelles à la croisée entre arts et design : notamment Alexandre Dupont, Camille Bosqué, Virginie Pringuet.
Les membres de l’association de jeunes chercheurs Design en Recherche m’ont permis de partager des moments intellectuels et personnels très importants pour moi, formateurs de mon approche de la recherche en design : Caroline Bougourd, Pauline Gourlet, Anthony Masure, Marine Royer, Anne-Lyse Renon, et beaucoup d’autres personnes rencontrées dans ce contexte, à la croisée entre plusieurs disciplines et environnements de recherche.
L’équipe du groupe Hybrid Publishing de l’EnsadLab m’a donné l’occasion de faire progresser mes recherches de manière conviviale grâce à une collaboration autour des enjeux éditoriaux propres aux mondes de l’art et du design : notamment Dominique Cunin, Julie Blanc, Lucile Haute, Samuel Bianchini.
De multiples personnes rencontrées à l’occasion de la présentation de ce travail, d’une conversation ou d’une collaboration dérivative, l’ont fait progresser significativement d’une manière ou d’une autre : Sabine Chalvon-Demersay, Johanna Drucker, Pierre Mounier, Aurélien Berra, Gilles Rouffineau, Annick Lantenois, Alexis Chazard, Antoine Delinotte, Laetitia Giorgino, Giorgio Uboldi, Matteo Azzi, Pierre-Damien Huyghe, et tant d’autres.
Tous mes autres chers amis hors du monde professionnel, avec qui j’ai eu la chance de cheminer durant ces années, dans le désordre et de manière non-exhaustive, ont réussi l’exploit de supporter cet étrange parasite qui s’était greffé sur ma vie durant tout ce temps : Thomas, Daphné, Olivier, Pierre, Samuel, Antoine, Alex, Blandine, Germain, Pauline.
Enfin et surtout, Nicole et Jean-Marc de Mourat, parents-thèses chaleureuses et oreilles inlassables, m’ont encouragé et soutenu jusqu’à ce que cette thèse arrive à son terme.
Qu’ils soient toutes et tous sincèrement remerciés, car l’accomplissement de ce travail est aussi le leur.
L’imprimerie impose comme un pli à l’écriture et à travers elle à l’étendue et la forme d’une « matière subjective ». Mais l’ordre de ce format n’en ouvre pas moins d’immenses possibilités formelles au cœur de la contrainte mécanique. […] Ainsi, le pliage qu’il impose ne réduit aucun pli subjectif à n’être que soumission à la technique. (Zerbib, 2015c, p. 341)
Il a fallu des décennies pour construire les dépôts numériques de stockage et établir les conventions dʼaccès et dʼutilisation, sans parler de lʼélaboration des outils de communication, de présentation et de publication utilisés par les chercheurs en sciences humaines pour partager et diffuser lʼinformation. Chacun de ces efforts constitue un acte dʼinterprétation. Chaque passage de lʼanalogique au numérique est une traduction qui met en scène une certaine expérience des artefacts rencontrés en ligne […] Lorsque de nouvelles normes sʼétablissent, lorsque de nouvelles procédures et techniques sont naturalisées, les hypothèses peuvent devenir invisibles. [...] les nouvelles routines qui structurent ce monde de pratique ont le potentiel de devenir aussi sédimentées et automatiques que celles de lʼère de lʼimprimerie, et quand elles le font, elles sonnent le glas des humanités numériques comme une pratique à la fois critique et expérimentale.15 (Anne Burdick;Johanna Drucker;Peter Lunenfeld;Todd Presner;Jeffrey Schnapp, 2012, p. 122)
Pour résumer : une méthode inventive traite d’un problème spécifique, et est adaptée dans son utilisation en fonction de cette spécificité ; son usage peut éventuellement être
répété, mais la méthode est toujours orientée pour faire une différence. Cette orientation est liée, nous le suggérons, à sa double force […] : c’est-à-dire à la fois à ses ‹ effets constitutifs › et à sa capacité à contribuer à sa propre ‹ circulation générative ›.17 (Lury & Wakeford, 2012/2013, p. 11)
Dans la mesure où la forme permet au sens dʼapparaître à la sensibilité, pour paraphraser Aristote, le rôle de lʼesthétique est dʼéclairer les manières dont les formes de connaissance provoquent lʼinterprétation. Dans la mesure où la logique formelle des environnements informatiques valide les applications instrumentales de gestion et de création dʼartefacts numériques, le jeu imaginatif est crucial pour que cette logique nʼaffirme pas une autorité totalisatrice sur le savoir et ses formes. L’Aesthesis, à mon avis, nous permet dʼinsister sur la valeur de la subjectivité qui est au cœur des artefacts esthétiques – des œuvres dʼart au sens traditionnel du terme – et de placer cette subjectivité au cœur de la production du savoir.18 (Johanna Drucker, 2009, p. xiii)
Peut-être qu’une des valeurs des méthodes de design dans les sciences humaines et sociales relève de la manière dont le design nous permet de dériver des problèmes. Les interprétations, les significations produites par le design ne sont pas le moyen de régler des problèmes, mais plutôt de les matérialiser eux et leurs facteurs signifiants. De cette manière, dériver relève d’un double sens qui désigne à la fois le processus de dérivation et la source depuis laquelle quelque chose est dérivée, son origine. Plutôt que de produire les fins de l’enquête, les méthodes de design en produisent le point de départ. Dériver n’est pas qu’un processus, mais un effort expérientiel, un évènement qui permet la fabrication de problèmes productifs […]. Il y a un aspect narquois dans ceci. Le design, dans ce contexte, ne relève pas de l’utilisabilité, de l’utilité ou même de la désirabilité. Ce que nous dérivons du design, comme un mode de fabrication-comme-enquête, ne sont pas des solutions, mais plutôt des glitches productifs, des difficultés et des complications.25 (DiSalvo, 2018)
La partie la plus visible de la discussion sur ce qui constitue la publication a porté sur les articles de revues. Pourtant, un ensemble beaucoup plus vaste de questions surgit à mesure que de nouveaux genres qui ne sont pas faciles à catégoriser. Les riches sites web savants en sciences humaines, par exemple, contiennent des données dans de nombreux médias, consolidant ainsi les résultats dʼannées de recherche. Ils ont peu dʼanalogues dans les publications imprimées. Les livres et thèses électroniques ont également des caractéristiques qui ne peuvent être reproduites sous forme imprimée (p. ex. images animées ou liens vers des sources externes), mais sont par ailleurs analogues aux livres et thèses traditionnels. Les simulations, les dépôts de données et dʼautres contenus complexes comportant des liens
interactifs peuvent être considérés comme des publications, en particulier dans les domaines à forte intensité de données, en dépit de peu dʼanalogues imprimés.4 (Borgman, 2010, p. 98)
Lʼéventail des genres de communication savante informelle est encore plus complexe. […] Bien que la plupart de ces nouveaux genres soient trop informels pour avoir été considérés comme des publications imprimées, ils
contiennent des discussions, des faits et des compte-rendus importants qui font partie du discours scientifique dʼun domaine. De plus, ils peuvent être capturés parce que les communications numériques laissent une trace.5 (Borgman, 2010, p. 99)
Les cadres servent autant à présenter le contenu quʼà le contenir. Les cadres, dans mon langage, sont les mécanismes de distribution, les canaux et les médias. Ce sont des contextes, des modes de compréhension autant que des technologies de duplication. Les cadres ne sont pas seulement des systèmes de diffusion ou des paquets pour le contenu, mais le mode expérientiel du contenu. […] Typiquement, le livre était le cadre des contenus écrits de longueur importante. Cʼest-à-dire une combinaison de papier, de technologies dʼimpression, dʼencre, de texte, dʼillustrations, de valeurs économiques et de statut
social qui, ensemble, fournissent un cadre pour lʼécriture longue.13 (Bhaskar, 2013, p. 84)
En résumé, les cadres sont les mécanismes de distribution et de présentation du contenu ainsi que les modes qui leur sont associés et subjectivement expérimentés. La notion de « cadre » est un raccourci pratique pour regrouper ces concepts interdépendants, les aspects matériels et immatériels de la présentation du contenu.14 (Bhaskar, 2013, pp. 86‑89)
[…] on pourrait dire que les documents aident à définir et sont mutuellement définis par la fonction du « connaître-montrer », car la documentation est une pratique épistémique : le type de connaître enveloppé dans le montrer, et le montrer enveloppé dans le connaître. Les documents sont des objets épistémiques ; ils sont des sites reconnaissables et des sujets dʼinterprétation à travers et par-delà les disciplines, des structures à valeur de preuve dans la longue histoire humaine des indices. […] Le connaître-montrer et le ne-pas-montrer dépendent d’une évidence implicite qui est intrinsèquement rhétorique.34 (Gitelman, 2014, p. 1)
Parti de la sphère publique en général, l’espace de communication scientifique comporte la publicité comme dimension constitutive. Le texte scientifique publié entre dans la sphère publique composée de deux segments : la communauté internationale des chercheurs et le public en général. Ces deux catégories exercent distinctement des fonctions critiques complémentaires. Par les règles du système de communication scientifique, être publié, en particulier par un éditeur reconnu, comprend des filtres d’évaluation et de validation. Les produits des activités éditoriales rejoignent le corpus documentaire scientifique et constituent la connaissance généralement admise. Cette dernière pourrait être qualifiée d’« opinion publique scientifique ». La communauté des chercheurs exerce une fonction publique dans son devoir de critique, de vérification, voire de réfutation des résultats de recherche publiés. (Beaudry, 2011, p. 165)
Ce qui caractérise lʼusage des TIC dans les pratiques de communication en sciences humaines et sociales, cʼest, nous semble-t-il, quʼelles réactivent dʼune manière particulière la tension que ces disciplines connaissent traditionnellement entre un pôle de scientificité, où les sciences de la nature jouent un rôle prédominant, et un espace public de plus en
plus problématisé par lʼintermédiaire de la notion de « société de lʼinformation ». (Dacos & Mounier, 2009)
Si les SHS veulent pleinement jouer leur rôle dans l’interprétation et la compréhension de notre société, elles ne peuvent pas se permettre de le faire seulement dans le confort et l’isolement des murs de l’université. Elles ont intérêt à se doter de leur propre force de projection des idées, c’est-à-dire de leur propre média, au sens noble du terme de passeur entre deux mondes. […] En s’orientant ainsi résolument vers le public, elles ne renonceront pas à leur dimension scientifique, et même elles profiteront, par effet de levier, de perspectives méthodologiques nouvelles. (Dacos, 2012, §1)
Cette figure paroxystique de la communauté fait valoir la communion comme aboutissement contradictoire de la communication. Elle indique, a contrario, comment lʼinstitution dʼun espace public est précisément ce qui maintient la communauté à distance dʼelle-même : ce qui, certes, rapporte les individus les uns aux autres, mais qui dans le même temps les déporte les uns des autres, ce qui les soumet à un régime dʼimpropriété mutuelle afin de préserver les termes dʼun échange possible. Espace de distanciation, espace de médiation qui interdit le don de soi autant quʼil préserve du rapt de soi. (Tassin, 1992, p. 24)
Nous avons fait une démonstration montrant comment nous pouvions afficher à lʼécran un mémo avec de belles polices, et en particulier le logo Xerox dans sa police Xerox spécifique,
puis lʼenvoyer par Ethernet et lʼimprimer sur lʼimprimante laser. Nous avons donc imprimé ce que nous avions créé à lʼécran sur du papier transparent pour diapositives. Une partie de la démo consistait à appuyer sur le bouton pour imprimer, puis nous avons tenu la version imprimée en l’air, devant lʼécran, de manière à ce que vous puissiez voir à travers le support transparent que les deux étaient identiques. En fait, elles nʼétaient pas exactement identiques, mais elles étaient suffisamment proches.2 (Simonyi, 1997)
Ne faut-il pas […] envisager cette idée que l’industrie, loin d’être essentiellement un phénomène de masse et de quantité, est d’abord un fait intellectuel, l’engagement dans le monde d’un rapport à l’idéalité ? […] L’industrie serait en somme une puissance de modélisation. (Huyghe, 1999, p. 18)
Ce qui donne une apparence de légitimité à cette contrefaçon, dont l’illégitimité est pourtant si flagrante au premier aspect, c’est qu’un livre est, sous un rapport, un produit matériel de l’art (opus mecanicum), qui peut être imité (par celui qui en possède légitimement un exemplaire), et que par conséquent il y a là un droit réel. Mais, sous un autre rapport, c’est aussi un simple discours de l’auteur au public, et nul ne peut reproduire ce discours publiquement (præstatio operæ) sans avoir reçu la
permission de l’auteur, de telle sorte qu’il y a là un droit personnel. L’erreur consiste à confondre ces deux droits. (Kant, 1853)
Ainsi s’éclaire sans aucun doute le statut paradoxal des textes scientifiques, supports irréductibles de la connaissance et de son exposition, et simultanément objets d’un processus ininterrompu d’obsolescence et de relégation : il repose sur la dissociation en leur sein entre caractéristiques textuelles et caractéristiques cognitives. (Berthelot, 2003b, p. 29)
Bien que non immatériel, le numérique est constitué dʼune série complexe de couches abstraites qui permettent aux programmeurs de travailler et de coder dans une machine abstraite déconnectée logiquement de la matérialité du silicium sous-jacent.16 (D. M. Berry, 2015, p. 46)
Le numérique a amplifié et naturalisé ces pratiques dans la mesure où les processus de fragmentation / recombinaison et de désémantisation / resémantisation lui sont constitutifs. Les systèmes dʼécriture numériques proposent des fonctions dʼécriture, qui répondent à des fondamentaux, ou tropismes, de lʼécriture numérique – comme la manipulabilité, lʼabstraction, lʼadressabilité, lʼuniversalité et le clonage […]. (Crozat, 2012)
L’objectivation consiste dans le fait que l’inscription constitue un objet appréhendé dans son autonomie et sa cohésion propres. Le contenu est un objet qui persiste à travers les lectures auquel il est toujours loisible de faire référence. L’objectivité du contenu s’instrumente à travers des inscriptions faisant référence, le fixant dans une forme fixe et pérenne. (Bachimont & Crozat, 2004, p. 9)
Ceux-ci [les lecteurs], en effet, ne sont jamais confrontés à des textes abstraits, idéaux, détachés de toute matérialité : ils manient des objets dont les organisations commandent leur lecture, partant leur appréhension et leur compréhension du texte lu. Contre une définition purement sémantique du texte, il faut tenir que les formes produisent du sens, et quʼun texte stable dans sa lettre est investi dʼune signification et dʼun
statut inédits lorsque changent les dispositifs de lʼobjet typographique qui le proposent à la lecture. (Chartier, 1989, p. 1509)
Les intentions d’un auteur quand il a écrit un texte donné, celle des imprimeurs et des libraires quand ils ont décidé de la forme de sa publication, les sens différents que ses lecteurs lui ont donné sont autant de questions qu’aucune histoire du livre ne saurait éluder. (McKenzie, 1986/1991, p. 39)
Sans échafaudage formel, lʼécriture ne fonctionnerait pas. Un tableau généalogique qui nʼaurait pas les moyens de suivre les lignées ou de distinguer une génération dʼune autre ne remplirait guère ses fonctions de base, à savoir garantir les droits à la propriété, à lʼidentité ou au pouvoir. […] Ces relations ne sont pas seulement exprimées dans sa forme, elles sont faites dans son format.21 (Johanna Drucker, 2013a, pp. 89‑90)
Je suggère que les propriétés spécifiques dʼéléments graphiques évidents, bien que souvent inaperçus, apportent une contribution importante à la production de la signification – que lʼexpressivité de ces « inflexions » est plus
que superficielle, et peut et doit être comprise comme partie intégrante de la textualité.22 (Johanna Drucker, 2009, p. 162)
À mesure que l’on remonte vers la langue naturelle, l’inscription s’éloigne de l’incorporation et devient signe, c’est-à-dire moins performative que représentative, et de fait plus abstraite, effaçant son substrat matériel. Repenser la langue naturelle à partir du code permet paradoxalement de réintroduire la matérialité du signifiant […]. (Hayles, 2015)
Aucun texte nʼest « transféré » tel quel, comme un seau de charbon déplacé le long dʼun convoyeur. […] Le concept de matérialité performative a ici un double sens. Dans le premier sens, sur lequel je me suis concentré, la matérialité est comprise comme la production dʼun sens en tant que performance, tout comme tout autre « texte » est constitué par une lecture. […] Dans le second sens, la matérialité performative suggère une approche du design dans laquelle lʼutilisation sʼancre dans le substrat et la structure, de sorte que le modèle du contenu et ses expressions évoluent ensemble. La « structure du savoir » devient un « schème de connaissance » qui circonscrit lʼutilisation en même temps
quʼil la provoque. Lʼidée dʼun utilisateur-consommateur est remplacée par celle dʼun fabricant-producteur, un artiste-interprète, dont la performance modifie le jeu.28 (Johanna Drucker, 2013b)
Ces unités sont déterminées a priori et le format définit ce quʼil est possible de faire avec elles. Il sʼinstaure alors une tension entre le format, technique et mobilisation des unités a priori, et les formes sémiotiques manifestées par ces formats, formes qui sont interprétatives et dégageant a posteriori les unités de sens. Ce qui est manipulable nʼest pas directement ce qui est signifiant, ce qui est signifiant nʼest pas directement ce qui est manipulable. (Bouchardon et al., 2012, p. 14)
Les métatextes numériques ne sont pas de simples commentaires sur un ensemble de textes. Dans de nombreux cas, ils contiennent des protocoles qui permettent des procédures dynamiques dʼanalyse, de recherche et de sélection, ainsi que dʼaffichage. Plus important encore, les métatextes expriment des modèles du champ de connaissances dans lequel ils opèrent.48 (Johanna Drucker, 2009, p. 11)
En séparant le logiciel utilisé pour créer et (surtout) modifier les pdfs du logiciel utilisé simplement pour les ouvrir et les lire, cʼest comme si Adobe avait réimaginé le monopole perdu par les imprimeurs au XIXe siècle et lʼavait ensuite effectivement réinstallé en miniature dans les canaux de communication quotidiens des entreprises.62 (Gitelman, 2014, p. 130)
LaTeX nʼest pas un traitement de texte ! LaTeX encourage plutôt les auteurs à ne pas trop se soucier de lʼapparence de leurs documents, mais à se concentrer sur lʼobtention du bon contenu.67 (« Introduction to LaTeX », 2009)
Pour autant que je sache, [les auteurs qui ont réfléchi profondément aux véritables avantages de LateX, nda] choisissent LaTeX pour la raison opposée à celle, stéréotypée, de se concentrer sur le contenu et dʼoublier le design. Par exemple, lʼun dʼentre eux affirme que « lʼordinateur devrait permettre à un écrivain ordinaire de produire une page de composition soignée, mais Word rend cette tâche extrêmement difficile à réaliser ». […] Ces auteurs utilisent LaTeX (ou des variantes de celui-ci) parce quʼils ne pensent pas « quʼil vaut mieux laisser la conception des documents aux concepteurs de documents » : en fait, ils lʼutilisent précisément parce quʼils veulent sʼessayer au métier de concepteur (qui est à son tour parce quʼils « sʼinquiètent... de lʼapparence de leurs documents »).68 (Allington, 2016)
De la confusion et de l’incertitude qui accompagnent le développement d’un standard, un ordre émerge et, aux yeux des non-initiés, un format commence à apparaître comme le résultat naturel d’un processus contingent et négocié. (Sterne, 2012/2018, p. 61)
Il s’agit de réduire la charge technique sur un auteur non qualifié pour traiter de forme, et optimiser le processus de production (Bachimont & Crozat, 2004).
Cette conception [qui associerait les « ressources » à un fond et leurs présentations à une « forme », nda] est fallacieuse, dans la mesure où la ressource est par définition inconsultable : séquence numérique, elle n’est appréhendable qu’à travers une mise en forme (par exemple, un éditeur XML). Il apparaît donc qu’il faut plutôt distinguer une forme particulière, « canonique », définissant conventionnellement un noyau contenu invariant, que des mises en formes déclineront en publications diverses. (Bachimont & Crozat, 2004)
Cependant, l’ingénierie des connaissances dont l’ingénierie est une composante n’est pas une science cognitive, fût-elle appliquée, mais une technologie intellectuelle : elle ne vise pas à déterminer la pensée en tant que telle, mais à élaborer des outils facilitant l’exercice de la pensée. (Bachimont, 2007a, p. 44)
La dissémination des formes et le calcul autorisent en effet le rêve qui consiste à donner à toute expression une forme immédiatement reconnaissable, intégrable, manipulable, « recombinable ». Or ces pratiques dʼingénierie nourrissent un fantasme enfantin de toute puissance : soumettre lʼensemble de la culture à un format unique qui assurerait une inter-traduction de toute production (modéliser, transformer, connecter, décombiner à lʼinfini). Fantasme qui trouve les moyens de ses désirs puisquʼil donne une « opérationnalité » économique aux formes culturelles et qui, dans son sillage, trace les éléments idéologiques dʼune « bonne » conception de la communication, à la fois transparente et combinatoire. (Emmanuël Souchier, 1998)
La tendance informatique à laquelle je fais référence apparaît plus concrètement dans ce que lʼon pourrait appeler (dans les termes de Lyotard pour le sublime contemporain) le point « imprésentable » de la page Web, celui où le contenu coule
à travers un « îlot de données » dans le code de lʼinterface depuis des sources transcendantales – que ce soit des bases de données ou des documents XML.91 (Liu, 2002)
En dʼautres termes, soyons clairs : la séparation du contenu et de la présentation, qui est maintenant imposée par les technologies de lʼinformation axées sur le business, est un euphémisme. Dʼun point de vue historique, le « savoir » (le grand « contenu » de lʼentreprise post-industrielle) est extrait de ce que « présentation » signifie réellement : du travail.94 (Liu, 2002)
Les textes des sciences humaines sont des constructions argumentatives qui tentent de tisser un lien plus ou moins fort entre des observations empiriques et des hypothèses théoriques, parfois à portée générale. (Bert, 2014b)
Les matériaux sont ineffables. Ils ne peuvent être épinglés par des concepts ou des catégories établis. Décrire un quelconque matériau, c’est se confronter à une énigme dont la clé ne peut être découverte qu’à travers l’observation et la relation active avec ce qui est là. L’énigme donne au matériau une voix et lui permet de dire sa propre histoire : c’est à nous, alors, de nous mettre à l’écoute des indices qu’il nous offre et de découvrir ce qu’il nous raconte. (Ingold, 2013/2017, p. 80)
Jane Bennett parle du désir de lʼartisan de voir ce quʼun matériau peut faire (par opposition au désir du scientifique dʼapprendre ce quʼun matériau est). Cette curiosité pour la matière, ce désir de comprendre ce que les choses peuvent faire, opère dans un registre différent de la critique. La théoricienne pourrait résister à un tel cadrage, arguant quʼelle
travaille avec les mots comme son « matériau », voyant ce quʼils pourraient révéler lorsquʼon les étire au-delà du langage du sens commun. Elle a raison, mais il y a dʼautres matériaux que nous pourrions utiliser, dʼautres agencements à explorer, qui existent au-delà du réel discursif, des agencements qui pourraient nous faire évoluer vers de nouvelles alliances et de nouvelles pratiques.24 (McPherson, 2018, p. 20)
Voici comment cette idée fantaisiste a pris corps. Un « livre électronique », contrairement au codex imprimé, peut contenir de nombreuses strates organisées en forme de
pyramide. Les lecteurs pourront télécharger le texte et parcourir la strate supérieure qui sera rédigée comme une monographie classique. Si cela leur suffit, ils imprimeront le texte, le relieront (il est possible aujourd’hui de brancher des relieuses aux ordinateurs et aux imprimantes) et l’étudieront à leur guise sous la forme d’un livre fabriqué sur commande. S’ils tombent sur quelque chose qui les intéresse plus particulièrement, ils cliqueront sur une autre strate et accéderont à un essai ou à un appendice supplémentaire. Ils pourront aussi continuer à s’enfoncer plus profondément dans le livre à travers un corpus de documents – bibliographie, historiographie, iconographie, musique de fond –, tout ce que j’aurai mis à leur disposition pour conduire à la compréhension la plus complète possible de mon sujet. (Darnton, 2012, pp. 248‑249)
Même sans récits formels, la base de données Kindred Britain est une revendication sur la forme et la nature de la culture britannique, et le site tente de formaliser une telle revendication en rendant certains mécanismes explicites. La limite entre la riche conservation dʼune base de données et la production de connaissances est ainsi une zone floue, une sorte de frontière entre les récits traditionnels de la recherche en sciences humaines et les archives interactives.44 (Jenkins, 2013)
Le processus de sélection de Vectors était disposé à favoriser les travaux qui engageaient des questions sociales, en particulier celles liées au féminisme, à la critical race theory et aux cultural or ethnic studies. Cela représentait en partie un effort pour remédier au discours de désincarnation et de dématérialisation de la culture du net à ses débuts et au tournant apolitique des computational humanities des décennies précédentes.62 (McPherson, 2018, p. 129)
En présentant le « contenu » à travers un ensemble de protocoles culturels Warumungu qui limitent et améliorent (selon qui vous êtes) lʼéchange, la distribution et la création de connaissances, la logique interne du site remet en question les notions occidentales conventionnelles de « liberté » dʼinformation et de « partage » des connaissances ainsi que les exigences légales concernant les œuvres originales, « innovantes » et à auteur unique comme référence pour les définitions de la propriété intellectuelle. En naviguant sur le site, les utilisateurs rencontreront les protocoles qui limitent, définissent et rendent compte dʼune compréhension dynamique et polyphonique de la distribution et de la reproduction des connaissances.67 (Christen, Cooney, & Ceglia, 2006b)
En dʼautres termes, jʼaimerais voir une interface où, si lʼon enlève tous les mots, le contenu visuel donnerait encore une impression générale de lʼargument de Kate selon lequel la relation entre le récit et la base de données peut être complexe et à plusieurs niveaux. Vos actions au sein de lʼinterface devraient être lʼexpression de cette idée, non seulement sur le plan fonctionnel, mais aussi viscéralement.69 (McPherson, 2018, p. 169)
Alors que nous nous installions dans nos rythmes de travail ces premières années, nous avons remarqué que de nombreux universitaires vivaient parfois le processus de collaboration comme une déqualification, ne serait-ce quʼà des moments particuliers. Les talents traditionnels des chercheurs en humanités – la création dʼune prose longue, la formulation dʼidées solitaires, la priorité donnée au texte – nʼétaient plus le seul terrain de travail.75 (McPherson, 2018, p. 128)
En utilisant cet outil, les participants peuvent migrer depuis des formes linéaires de travail (comme lʼécriture pour la page ou la vidéo) vers des formes fragmentées et interreliées. En substance, les chercheurs intègrent des modes de pensée « relationnels » dans leurs projets.77 (Dietrich, 2010)
Dans un monde idéal, je continue de croire que chaque projet scientifique devrait trouver le design et la structure les mieux
adaptés à ses preuves, arguments et objectifs uniques (et ce format sera parfois un livre imprimé !), mais ce monde seraitdifficile à financer et peut-être aussi plus difficile à soutenir et à préserver, car chaque projet aurait ses propres capacités, besoins et bizarreries. 81 (McPherson, 2018, p. 161)
Dʼune certaine manière, je pense donc que Scalar fonctionne bien en rassemblant votre matériel source et en lʼimportant avant la réalisation de votre publication.90 (Owens, 2018)
Nous venons ici pour vous offrir ce texte, avec à l’esprit l’importance de la négociation qui nous réunit tous. Ce texte a beaucoup de valeur pour nous. Nous comptons d’autant plus sur vous pour le remanier. Il est le résultat d’un travail collectif considérable, entrepris depuis plusieurs années. C’est un étrange exercice auquel nous allons nous livrer. Nous proposons de nommer cela diplomatie, néanmoins personne ne nous a mandatés, il n’y a pas de camps. C’est donc une sorte de diplomatie interne que nous proposons. En bons diplomates, commençons par nous présenter. En effet, nous présenter avec politesse, avec civilité, c’est aussi affirmer qu’il est certaines choses auxquelles nous sommes vraiment attachés sans bien savoir les définir. C’est là l’objet incertain de la conférence qui va nous réunir. (Boulanger et al., 2014)
Parce qu’ils échappaient à une forme inexplicable de transcendance et d’immobilité, parce qu’ils devenaient localisés, historiques, situés, artificiels, oui, inventés et constamment réinventés, en se reposant à chaque passage de relais la question de leur véracité, ces textes devenaient enfin actifs et proches. (Latour, 2012a, p. 551)
L’artiste, dit Souriau, n’est jamais le créateur, mais toujours l’instaurateur d’une œuvre qui vient à lui mais qui, sans lui, ne procéderait jamais vers l’existence. S’il y a une question que ne se pose jamais le sculpteur, c’est la question critique : « Est-ce moi ou est-ce la statue qui suis, qui est l’auteur de la statue ? » On reconnaît là le redoublement de l’action d’une part, l’oscillation du vecteur de l’action, d’autre part. Mais ce qui intéresse Souriau avant tout, c’est le troisième aspect, celui qui porte sur l’excellence et la qualité de lʼœuvre instaurée : si le sculpteur se réveille la nuit, c’est parce qu’il doit encore se laisser faire pour achever lʼœuvre ou la rater. (Latour, 2012b, p. 166)
Il n’y aurait donc pas d’un côté l’esprit (ou la culture ou le langage), et de l’autre l’être (ou la réalité ou le monde), mais plusieurs manières d’être. L’ontologie devient le discours de l’anthropologie, parce que la notion d’être apparaît comme le comparant le plus puissant. Cela ne signifie pas qu’il est le plus indéterminé, mais au contraire qu’il est le plus intense, celui qui nous oblige au déplacement et au dépaysement le plus grand. L’ idée de culture n’est qu’une conséquence d’une certaine « ontologie ». Il faut ici être radical : par « ontologie » nous n’entendons pas une « théorie » quant à l’Être, ni même des idées ou une « entente » de l’Être ; nous entendons bien des manières de déterminer quelque chose comme étant. […] La question n’est donc pas d’accepter comme étant tout ce qui est déclaré tel par les uns ou les autres, mais plutôt de mieux comprendre ce qui est effectivement dans notre monde par différence avec ce qui est dans les autres. (Maniglier, 2012a, p. 919)
Seulement, Souriau ne faisait aucun effort pour être anthropologique, il croyait parler de toute ontologie. Moi, je m’adresse à des gens qui ont extrait de toutes les altérations
possibles de l’être-en-tant-qu’autre, un tout petit nombre, en tout cas qui en ont élaboré un tout petit nombre, et qui ont ensuite encombré le monde avec ce petit nombre. (Latour & Marinda, 2015, p. 8)
Si l’on résume, un mode d’existence quelconque est un réseau [RES] spécifié et identifié par une préposition [PRE], la seconde donnant la clef d’interprétation du premier. Cette clef d’interprétation, cette tonalité propre au mode d’existence, entraîne un type de passes particulier et donc une trajectoire particulière, qui elle-même implique l’instauration d’êtres spécifiques propre au mode concerné. (Famy, 2017)
Il faut être naïf pour croire au succès de tels pourparlers ? Eh oui, mais le diplomate est une figure hybride, naïve autant que retorse. Je prétends que le seul moyen de vérifier s’il s’agit là d’une illusion ou non, c’est de mener pour de vrai, en face à
face, ces négociations avec ceux qui sont directement intéressés à formuler d’autres versions de leurs idéaux ; ce que nous allons pouvoir faire avec ce projet de recherche collaborative dont la troisième année suppose de tels pourparlers menés sur les zones de conflit de valeurs les plus « chaudes ». (Latour, 2012b, p. 482)
Cʼest seulement quand jʼai vu ce que le médialab était capable de faire, et quand jʼai vu toutes les choses sur le travail collaboratif – wiki et toutes ces choses – jʼai pensé que si je voulais rendre la tâche publique, ma propre limitation serait trop évidente, et il serait vraiment intéressant de partager le
projet, lʼintérêt, aussi lʼénergie, avec les autres. Et je me suis dit : ‹ Comment tu fais ça ? › – Eh bien, le support numérique était un moyen évident de le faire. Jʼavais en quelque sorte exploré – et cʼétait un échec total – lʼoutil numérique dans la grande exposition sur ‹ Making things Public › que jʼai faite à Karlsruhe – donc, ça a échoué mais jʼai réalisé quʼil y avait beaucoup dʼautres moyens de connexion, car nous avions une exposition spéciale dans lʼexposition avec la première – cʼétait en 2005 – plateforme collaborative précoce.29
Lʼobjectif principal de lʼAIME est de trouver un moyen de trouver une définition alternative acceptable de ce quʼa signifié lʼaventure de la modernité maintenant quʼelle est largement terminée en raison du double phénomène de la perte de lʼhégémonie idéologique occidentale et de la montée des crises écologiques. Pour atteindre cet objectif, je veux construire un instrument spécifique conçu spécifiquement pour aborder cette double question de théorie sociale et dʼanthropologie comparée. Cʼest cet instrument qui devrait pouvoir transformer une poursuite individuelle en une enquête collective. Je ne mʼappuierai cependant pas sur un ensemble quantitatif dʼessais car il nʼy a aucun moyen dʼextraire des opinions avant dʼavoir renégocié les termes du débat. Cʼest précisément parce que la définition des modes dʼexistence nʼa pas de sens commun et quʼelle exige néanmoins dʼêtre empiriquement ancrée quʼil faut inventer un dispositif très spécifique et original.30
Ainsi, au lieu de publier dʼabord un livre et dʼattendre que la critique fasse son travail plus ou moins au hasard, lʼidée mʼest venue de transformer la critique en un protocole de recherche organisé pour tester et, surtout, réviser les propositions que jʼavais faites initialement dans le livre.32
La deuxième partie de lʼinstrument AIME est finalisée. A travers une conférence – et probablement une petite exposition sur les rouages du projet AIME du début à la fin – toutes les reformulations et re-descriptions des propositions originales seront proposées et rapportées dans lʼenquête originale (si possible le livre original sera réécrit et republié).35
Cʼest la partie la plus difficile et la plus risquée puisquʼil faut parier, dʼune part, sur le fait que toute lʼenquête nʼest pas idiosyncrasique au point dʼexclure toute collaboration et, dʼautre part, sur la possibilité de concevoir une plateforme suffisamment riche pour permettre un jugement partagé. Je nʼai pas lʼintention de laisser les gens réagir ouvertement dans le genre de Wikipédia ou dans la culture des blogs qui est maintenant si bien établie. Dʼune part, lʼoriginalité des définitions des différents modes exige un prix dʼentrée trop élevé ; dʼautre part, si les conditions à remplir pour participer sont trop étroitement définies, aucun outsider ne pourra y accéder. (…) Cʼest bien sûr la partie la plus difficile puisquʼil sʼagit de repérer les lignes de front qui sont assez chaudes pour intéresser les gens à participer à une
telle entreprise et pas assez chaudes pour quʼaucune rencontre diplomatique ne soit possible. Lʼautre difficulté est de trouver des participants prêts à essayer le dispositif, même sʼil a été défini, au moins au début, par un philosophe individuel.40
Tout le monde venait dʼhorizons différents, donc le tout début était dʼétablir clairement quel sens donner à tous les mots que nous utilisons dans le projet. Et cela a pris un certain temps, dans le sens où cela a été un processus vraiment douloureux, parce quʼil est évident que construire un fond commun est presque la tâche la plus difficile dans un projet. Mais nous y sommes parvenus, et cʼest à ce moment-là que nous avons commencé à planifier, ou à… de nouveau à prévoir lʼensemble de la machine, ou tout lʼécosystème des technologies aurait pu être mis en place. […] Et même dans ce cas, le processus ne sʼest pas déroulé sans heurts, en ce sens que pour prévoir quelque chose qui nʼa jamais été vu auparavant, il suffisait que les gens imaginent quelque chose, et chacun imagine quelque chose de différent, on ne peut homogénéiser lʼimagination ou la volonté dʼatteindre un but donné dʼune certaine manière par tous les participants du groupe.42
Nous avons tout expérimenté, du modèle à la façon de faire défiler… Au début nous utilisions beaucoup de plugins et à la fin nous nous sommes débarrassés de tout et nous avons reconstruit une structure plus solide. Il y a donc eu beaucoup dʼexpérimentation. Le code de l’interface doit être suffisamment flexible pour supporter cette charge. On attendait beaucoup des expérimentations qui ont échoué, et nous avons dû réfléchir à nouveau à la structure. Cela nous a obligés à suivre un processus étape par étape afin de publier, donc des règles strictes ont été mises en place afin de ne pas produire de bazar– parce qu’avec beaucoup de gens [du projet], cela pouvait devenir le bazar…44
Donc on est un peu dans cette situation inconfortable où on mène une expérimentation, mais une expérimentation à une certaine échelle – le public sʼest retrouvé dans la position de bêta testeur – cʼest quelque chose quʼon a dû gérer.
Par exemple au début avec la mise en question de lʼinstitution scientifique, si on avait organisé le livre à partir des controverses réelles et puis on avait élaboré autour le dispositif conceptuel, lʼenvironnement avec les quatre colonnes aurait peut-être pu mieux faire avec la diplomatie, et il est un peu limité par rapport à cela. […] Finalement les quatre colonnes ont dû absorber des choses qui nʼont pas été prévues pour cet environnement-là.48
Paul Girard : ‹ est-ce que ça irait jusqu’à réécrire des parties du livre ? ›
Bruno Latour : ‹ Non on touche pas au texte [rires]. On vient pas me saloper mon texte [rires]. ›
Et donc le format a évolué et toute la difficulté étant dans un projet expérimental comme celui-là de savoir faire bouger les choses sans non plus avoir lʼimpression dʼun manque de rigueur, dʼun manque de stabilité ou de fermeté sur des principes dʼinvestigation scientifique.
Le lecteur un peu déboussolé ne pourra d’ailleurs pas s’appuyer sur ce qui peut aider habituellement en science sociales, à savoir des notes de bas de page avec des références ou une bibliographie indiquant les points d’appui de l’auteur. Était-il censé faire des allers-retours constants entre le livre et le site ? Ce site compagnon l’aidera en fait peu puisqu’il ne semble guère avoir évolué depuis sa mise en ligne et qu’il en est resté, malgré les mois écoulés, à une présentation des grandes orientations de l’enquête. (Rumpala, 2013)
Étant donné le rôle prépondérant accordé au vocabulaire dans la plateforme AIME, jʼai recherché un certain nombre de termes pour me faire une idée du champ discursif quʼil permet. Les phénomènes au centre de mes préoccupations nʼont guère été évoqués. La pétrochimie, par exemple, nʼétait présente que parce quʼelle offre un contraste Moderne par rapport au traditionnel. Sur une page, figure un chameau accompagné en arrière-plan dʼun terrain dʼusine pétrochimique, avec un commentaire ironique sur ce contraste cliché. Les produits pétrochimiques ne faisaient par ailleurs pas partie du vocabulaire, de la documentation ou des commentaires.71 (Fortun, 2014)
An Inquiry into Modes of Existence (AIME) est un livre et fait partie dʼun projet web (projet AIME), comprenant trois livres : un livre numérique (imprimable) lors du lancement ; ce livre (Latour 2013a) ; et un qui accompagnera une exposition en août 2014. Le projet comporte trois phases : la conception de Latour ; un environnement de réaction avec des « co-enquêteurs » formés qui modèrent, filtrent et façonnent étroitement les contributions de toute personne qui sʼinscrit pour participer (une sorte de modèle Wikipédia) ; et une présentation finale.73 (Fischer, 2014)
Oui, je… jʼai surligné le texte, jʼai pris mes propres notes. Parfois, quand je lisais le livre, et quʼil y avait quelque chose que je voulais surligner là, je venais sur la plateforme, et je le surlignais là aussi. Pour essayer de faire un peu de correspondance entre le texte.75
Les quatre colonnes par exemple, à trois reprises cʼest revenu cette idée que cʼest les quatre colonnes avec cette idée très sacrée, très belle quoi. Et le fait que ce soit très beau avait un effet aussi contre-productif, parce que cʼest pas un « draft »82, si cʼest si beau cʼest que cʼest pas un « draft », or ça se présentait comme un rapport provisoire.
En fait, il y a 75 000 modes d’existence possibles, bien entendu, la liste n’est pas finie. Chacun peut faire ce qu’il veut avec la notion de mode d’existence, je n’ai pas de quality control à exercer sur cette notion… Mais puisque vous me demandez mon avis sur l’intérêt d’un [MED], je dirais que cela pose trois questions : premièrement, est-ce qu’on voit des erreurs de catégories qui sont particulièrement repérables ? Deuxièmement, est-ce que ce mode a été élaboré dans la tradition des Modernes, de façon à ce qu’on puisse réflexivement le ré-instituer, et comprendre pourquoi il a été mal institué ? Et, troisièmement – c’est ce qu’on essaie de faire maintenant avec le travail de « diplomatie » – est-ce qu’il est urgent de souligner ce mode d’existence pour pouvoir se repérer dans la négociation actuelle ? Dans tous les cas, il faut avoir des documents face auxquels on se dise que si on n’a pas ce mode d’existence, on rate quelque chose et que les êtres propres à ce mode sont maltraités. (Latour et al., 2014)
La première [contribution] était juste une sorte de test, un jeu, pour voir comment cette chose fonctionne. Et puis je lʼai lu, ou jʼen ai lu des parties, et ça a déclenché le travail que je suis en train de faire, et puis jʼai fait dialoguer ces choses. […] Je suppose que jʼavais un certain sens de ce quʼétait le langage, de ce quʼétaient les attentes intellectuelles, je faisais déjà un travail assez empirique, euh… alors je me suis dit que cʼétait la meilleure chose [une contribution empirique] que je pouvais apporter… […] Donc, je sais aussi que je ne savais pas si jʼétais censé pointer vers dʼautres documents, dʼautres réf… Jʼétais censé pointer des références et dire, ‹ regardez ça, ça croise ›, ou si jʼétais censé développer ça un peu plus. Et jʼai fait un peu des deux, et jʼai continué à développer.83
Quand la contribution est validée en l’état, avec peu de corrections cela fonctionne bien selon le dispositif en place. Mais dès que le contribution est plus compliquée, car
elle implique des modifications importantes suite à un rejet, le fil de la discussion peut vite se couper car l’échange par mail éloigne le commentaire et les arguments de la contribution présents sur la plateforme.86
Vous devez régler votre… le bouton, la souris – cliquer sur un point du texte et ensuite vous réagissez sur celui-ci. Et je nʼai pas trouvé beaucoup de points auxquels je pensais vraiment, cʼest là que je voudrais ajouter quelque chose, mais jʼavais des idées plus générales sur ce que je ressentais.88
Cette contribution sʼefforce dʼintervenir sur un point général propre à la démarche de toute lʼEnquête. Cʼest pourquoi elle sʼancre sur le dernier chapitre et porte son attention sur lʼaboutissement de lʼontologie proposée à savoir le mode de la moralité [MOR], dernier mode du dernier groupe avant le groupe du méta-langage de lʼEnquête. (Viveiros de Castro, 2013)
La prise en main du design de lʼinterface nʼétait pas évidente. Et je me suis rendu compte assez rapidement quʼil y avait un goulot dʼétranglement important sur le simple fait que toute lʼenquête reposait sur un tout petit dispositif technique qui était la capacité des gens à voir sʼafficher ce menu contextuel avec une étoile bleue et une petite bulle, un petit… une infobulle mais ça porte un nom grec qui mʼéchappe… un phylactère. Un petit phylactère qui veut dire ‹ vous pouvez commenter ça ›, et donc ce petit menu contextuel déjà il y avait beaucoup de gens qui arrivaient même pas à le faire sʼafficher, il y avait beaucoup de gens qui une fois quʼil sʼaffichait ne comprenaient pas quʼest-ce quʼon attendait, et ça ça a été très difficile.
Jʼai écrit et publié sur mon blog, sur Scribd, et sur academia.edu, plus dʼune centaine de pages résumant mes réactions au projet AIME. Jʼai analysé le statut philosophique du livre, examiné ses sources philosophiques et discuté des projets comparables menés par dʼautres philosophes contemporains (notamment Hubert Dreyfus et Bernard Stiegler), et je me suis concentré sur lʼexamen critique des récits des modes scientifique, métamorphique et religieux. Je nʼai reçu aucune réponse.89 (Terence Blake, 2014)
Ehm… parce que jʼai considéré la contribution sur la religion que vous pouvez… Jʼai considéré que cʼétait une bonne contribution. Jʼy ai travaillé, je lʼai écrite, je lʼai réécrite plusieurs fois… et jʼai pensé quʼil nʼétait pas acceptable quʼil [Bruno Latour] ne la publie pas. Jʼavais beaucoup plus à dire mais lʼéchange et la discussion qui est exclue par la structure de la plate-forme, est possible pour moi, parce que jʼai un blog. […] Et je ne vais pas faire … venir et supplier pour faire accepter une contribution dans la ligne du parti. Cʼétait une… pour moi une invitation à parler encore plus librement eh… sur mon blog, sur Facebook… et sur Tumblr, Youtube et Facebook et Twitter. Jʼai donc décidé que je parlerais en mon nom propre.92
Je considère donc que … mon intérêt est différent de celui des contributeurs bien sûr, mais mon intérêt est que les contributeurs mʼaident à remplir mon questionnaire
[rires]. Mais vous ne pouvez pas demander aux gens de contribuer. Leur intérêt est donc dʼutiliser lʼargument pour enquêter sur dʼautres types dʼaffaires qui les intéressent très directement.95
Les arbitres, les sept arbitres [évaluateurs de l’European Research Council, nda] qui ont lu ma candidature, ont tous dit quʼelle échouerait, mais quʼelle devait quand même être financée, en priorité. Chacun dʼentre eux a dit quʼil nʼy avait aucune chance que cela fonctionne. Mais quʼils devaient la financer sans même en discuter. Ils ont dit que la plateforme ne fonctionnerait pas, quʼelle est beaucoup trop grande, que la chose diplomatique est impossible, etc. […] Bien sûr quʼils avaient raison ! Cʼest un projet complètement impossible.97 (Latour, 2014)
Le défi, maintenant, consiste à écrire une ecclésiologie qui reflète de manière sympathique mais aussi critique sa propre provenance, tout en étant capable dʼincorporer, mieux encore : de manifester les caractéristiques mentionnées ci-dessus. Cette ecclésiologie ne doit donc pas être directive mais
doit être participative et démocratique sans être arbitraire ; elle doit montrer quelque chose de ce processus de dialogue et de controverse en cours et jamais achevé[…].27
Elle nʼest pas seulement un outil et une structure qui aime se présenter comme le modèle parfait. Cʼest aussi dans son contenu que jʼai trouvé une analogie […]. Je commencerais donc aussi par des « croisements » – ces valeurs et concepts clés, qui peuvent être abordés par différents chemins, en essayant dʼatteindre une pluralité qui soit aussi englobante que possible et qui permette en même temps un dialogue mutuel et, espérons-le, une compréhension. Lʼensemble du processus lui-même permettrait ensuite de cartographier le corps de lʼéglise dans son existence dynamique et son ouverture.28
Dans lʼart de lʼenquête, le développement de la pensée accompagne et répond continuellement aux flux des matériaux avec lesquels nous travaillons. Ces matériaux
pensent en nous comme nous pensons à travers eux. Ici, chaque mise en œuvre constitue une expérimentation, non pas au sens où lʼentendent les sciences de la nature (comme mise à lʼépreuve dʼhypothèses prédéfinies), et pas davantage au sens technologique dʼune confrontation entre des idées ‹ dans la tête › et des faits ‹ sur le terrain ›, mais plutôt au sens dʼun éclaireur qui fraye un chemin et poursuit sa route pour voir où elle le conduit. (Ingold, 2013/2017, p. 32)
Le design, lui aussi, évite le clivage entre les données et la théorie. Il ne procède pas par la collecte de données puis ensuite leur théorisation ; il propose plutôt ses expériences et ses improvisations comme des interventions imaginatives nourries par des engagements observationnels dans le monde. Comme les interventions de l’observation participante anthropologique, elles sont proposées comme des moyens de se joindre aux gens pour avancer dans leur vie, plutôt que comme des moyens de collecter du « matériel » sur eux ou à leur sujet. Et elles constituent en même temps un processus dʼapprentissage, une éducation de lʼattention – une façon de regarder des choses familières rendues inhabituelles par lʼintroduction de nos propres inventions. En dʼautres
termes, le design est une pratique de ce que jʼappelle la correspondance, formellement analogue à lʼobservation participante.50 (Ingold, 2015, p. 6)
Ces outils, loin dʼêtre utilisés sur le devant de la scène dans un contexte performatif, ne sont remarqués que lorsquʼils tombent en panne ou refusent de travailler en toute transparence. De tels outils nʼexpliquent pas ou nʼargumentent pas, mais facilitent. […] Un artefact numérique qui vous montre de manière transparente quelque chose dʼautre peut transmettre des connaissances, mais il nʼintervient pas comme une explication ou un argument ; il sʼéloigne de la vue au profit de ce qui est représenté.72 (Ramsay & Rockwell, 2012, p. 78)
Ce texte contient 635 pages.
Le texte a été composé avec la police de caractère Source serif pro conçue par Frank Grießhammer, et la police Source sans pro conçue par Paul D. Hunt, toutes deux publiées sous licence Open Font.
Mise en page au moyen du logiciel Ovide, des modules du projet Peritext, du langage Cascading Style Sheets et de la technologie libre paged.js.
Imprimé en Juillet 2020 à l'Université Rennes 2.